Menu principal:
Formation > Formation Professionnelle
Que faire après avoir exercé un mandat syndical ?
Les Echos n° 19686 du 13 Juin 2006 • page 9
Favoriser l'engagement des militants et valoriser les compétences acquises de ses élus syndicaux. C'est le double objectif que s'est fixé la CGT. Un dispositif qui vise notamment à la reconversion de ses cadres syndicaux.
Diplômé d'un CAP, Stéphane Fustec a commencé à travailler à dix-huit ans comme chef de rang dans la restauration. Mais depuis seize ans, il n'a pas porté un plateau. Son engagement syndical, au sein de la Fédération du commerce CGT, lui prend l'essentiel de son temps : « Je commence à me dire qu'il serait temps de faire un bilan et de réfléchir à ce que je pourrais faire d'autre. Le retour vers mon métier d'origine est exclu. D'autant que le syndicalisme m'a apporté une expérience que je voudrais voir reconnue et surtout que j'aimerais utiliser dans un métier connecté avec le droit du travail. » Mais vers quoi se tourner ? Avec un CAP et une expérience de cadre syndical, le risque est grand de ne rien trouver. Depuis plusieurs mois pourtant, Stéphane Fustec cherche une issue grâce à la validation des acquis de l'expérience (VAE). Un dispositif, inscrit dans le cadre de la formation professionnelle, qui offre l'opportunité de voir l'expérience acquise reconnue via un diplôme certifiant. « Vouloir reprendre des études en étant adulte, c'est la jungle. On a du mal à obtenir les renseignements. Et les formations ne sont pas forcément adaptées. »
C'est pour répondre à l'attente de ses cadres syndicaux que la CGT a mis en place un dispositif spécifique de gestion des ressources humaines : possibilités d'effectuer un bilan de compétences (fait en externe), proposition de VAE, recherche de nouveaux postes. Pour l'heure, une quarantaine de dossiers ont été traités. La CGT a ainsi signé un accord avec la Macif pour favoriser le retour à l'emploi de ses militants, formés au préalable. Un autre est en négociation avec La Poste. « Les fonctions syndicales, pour enrichissantes qu'elles soient, sont aussi usantes. Un militant peut souhaiter quitter ses fonctions. Encore faut-il lui garantir des débouchés internes aussi bien qu'externes. Il ne s'agit pas forcément d'un retour vers son entreprise d'origine, toujours très problématique. Il peut aussi voir ses compétences acquises au fil des années validées dans un diplôme pour changer plus facilement de carrière ou de secteur. Ou bien, demeurer dans le syndicat mais à des fonctions différentes », avance Luc Dareau, chargé de l'évolution de carrière à la confédération.
Des savoirs et des outils
Ce dispositif en dit long sur la petite révolution qui se joue ici. « Si on ne se penche pas sur l'après-mandat, on risque de se retrouver avec les mêmes militants, coincés à leur poste à vie. Ce n'est bon ni pour l'entreprise qui voit son dialogue social figé, ni pour le syndicat qui s'en trouve sclérosé », reprend Luc Dareau.
Pour Michel Lereste, directeur du centre de coordination de formation professionnelle (CCFP), organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) du secteur de l'économie sociale, ce besoin de gérer l'employabilité des élus syndicaux est d'autant plus impératif que « la société ne reconnaît pas à l'activité d'élu une compétence professionnelle. On reste dans cette idée que l'engagement militant ne demande pas d'aptitudes particulières. Pourtant, le syndicaliste acquiert des savoirs et des outils que parfois il sous-estime lui-même. D'où un accompagnement personnalisé pour entrer dans la VAE. » Le CCFP dédie ainsi une chargée de mission afin d'aider les candidats à la VAE à faire le choix de la filière et à remplir leur dossier. « Ce sont des dossiers qui résument toute une vie professionnelle. Parfois 500 pages dans lesquelles toute l'expérience acquise est formalisée et prouvée. Et puis, même avec la meilleure volonté du monde, l'université n'a pas encore pensé le retour des adultes sur ses bancs », reprend Michel Lereste.
De quelles compétences professionnelles l'expérience de cadre syndical permet-elle de se prévaloir ? D'abord, d'une réelle aptitude à la conduite de projets. Ensuite, un savoir-faire en matière de ressources humaines, de droit et de formation. « Un syndicaliste qui négocie un accord sur le régime de retraite ou d'assurance-maladie, diriez-vous qu'il est incompétent ? Non, ses qualités relationnelles et professionnelles peuvent parfaitement être utilisées par une entreprise. A condition de ne pas en avoir peur... Et là, c'est autre chose », avance Luc Dareau.
Bourse à l'emploi
A cinquante-six ans, Georges Chemouil est de ceux-là. Il a démarré en 1969 à la Ville de Paris comme menuisier. Lorsqu'il a commencé à envisager sa vie après son action militante, il savait au moins une chose : le retour à l'atelier était exclu. « Pendant des années, j'ai été chargé du suivi des politiques migratoires pour la CGT. J'intervenais dans des colloques, je rencontrais des ministres, des sociologues. Alors, l'atelier... » Georges Chemouil a réalisé un bilan de compétences, pris en charge par la CGT. Aidé par le CCFP, il a monté un projet de VAE sur la conduite de projet dans l'économie sociale à l'université de Paris-III. Il y prépare en ce moment un master sur le même sujet. En parallèle, il a réintégré la Ville de Paris où il travaille aujourd'hui à la mission intégration. « La ville était frileuse à l'idée de me réintégrer sur un nouveau poste, plus qualifié : plusieurs mois de discussions ont été nécessaires pour arriver à un accord. Mais mon salaire, lui, n'a pas évolué. Il est toujours celui d'un ouvrier menuisier, l'ancienneté en plus. » C'est pour cette raison, entre autres, que Georges Chemouil a choisi de reprendre un cursus universitaire malgré la proximité de la retraite. « J'utilise tout l'acquis de ces années de militantisme : des méthodes de travail, forgées parfois de manière empirique, et les connaissances accumulées. La VAE, c'est un regard en arrière sur son parcours en même temps qu'une porte ouverte vers un autre avenir professionnel. »
La gestion de carrières des élus syndicaux fait débat depuis plusieurs années déjà, mais les réalisations concrètes n'en sont encore qu'à leur démarrage, du moins à la CGT. Différentes idées émergent pourtant, comme celle d'une « contractualisation », au moment de la prise de responsabilité syndicale, afin de limiter la durée des mandats et prévoir de manière anticipée le retour dans l'entreprise. La CGT envisage également la création d'une Bourse à l'emploi interne dans le but d'échanger des informations sur les postes disponibles dans le secteur de l'économie sociale. La gestion prévisionnelle des emplois fait donc progressivement son chemin, dans l'entreprise comme dans les syndicats.
MURIEL ROZELIER