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Les syndicats allemands pour sauver l'Europe ?

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Les syndicats allemands pour sauver l’Europe ?


Par
PIERRE-YVES GEOFFARD professeur à l'Ecole d'Economie de Paris, directeur d'études à l'EHESS.

De manière inattendue mais ô combien bienvenue, le sauvetage de l’euro pourrait bien venir des syndicats allemands. Ceux-ci, en effet, sont engagés depuis le début de l’année dans des négociations plus dures qu’à l’accoutumée, et réclament de fortes hausses de salaires. Ces hausses de salaires, outre qu’elles bénéficieront en premier lieu aux travailleurs eux-mêmes, seront aussi une excellente nouvelle pour les autres pays européens. Car, il faut le rappeler, l’Europe souffre de forts déséquilibres internes ; pour simplifier, les pays du Sud, et parmi eux la France, connaissent des déficits commerciaux importants, alors que les pays du Nord, notamment l’Allemagne, enregistrent d’exceptionnels excédents.

Cette situation, de nombreux pays à travers le monde l’ont connue ; ces déséquilibres reflètent des économies divergentes : dans certains pays, les entreprises investissent et obtiennent des gains de productivité, tout en maintenant des coûts de production bas, en bridant notamment les hausses de salaires. Ces entreprises deviennent donc plus compétitives, et lorsqu’elles ont su trouver des clients à l’étranger, cette compétitivité vient renforcer leur capacité à exporter. Si ce mouvement n’est pas suivi dans d’autres pays, l’avantage des uns devient le handicap des autres, et le déséquilibre commercial s’ensuit. Tôt ou tard, ce déséquilibre doit se résoudre ; le plus souvent, la solution passe par un réajustement du taux de change, qui renchérit les exportations des plus compétitifs, et redonne des couleurs à celles des autres. Mais lorsque les déséquilibres s’installent au sein d’une union monétaire, comme actuellement en Europe, cet outil ne peut être envisagé qu’au prix d’un abandon de la monnaie unique. Si l’on exclut cette piste ô combien périlleuse, il reste alors une voie, celle suivie de facto depuis 2010 par l’Irlande, l’Espagne, la Grèce, le Portugal et l’Italie : la baisse des salaires vient y diminuer les coûts des entreprises, dont le prix des produits peut alors redevenir comparable à celui de leurs concurrents étrangers. Hélas, ces baisses de salaire sont rarement assorties de baisses identiques des prix à la consommation : la perte de pouvoir d’achat qui en résulte est dramatique pour des pans entiers de la population et vient saper la demande intérieure et la production, et peut entraîner l’économie dans une récession délétère. Le remède risque alors d’être pire que le mal…

Que reste-t-il à faire ? Eh bien, avant tout reconnaître que pour qu’il y ait déséquilibre, il faut être deux : les déficits de l’un sont les excédents de l’autre.

L’Allemagne connaît depuis dix ans une évolution très faible des salaires, moindre que celle de la productivité. Cette évolution traduit des choix collectifs s’exprimant selon plusieurs dimensions. La préférence donnée à l’emploi plutôt qu’aux salaires passe, lorsque l’activité se contracte, par le développement du temps partiel permettant d’éviter les licenciements ; et le coût du travail, qui reste bas, ne constitue pas un frein à l’embauche. Cette stagnation des salaires et donc des revenus du travail est possible car elle est aussi assortie d’une maîtrise des prix à la consommation, traduisant la fameuse détestation allemande à l’égard de l’inflation ; elle s’appuie aussi, et c’est bien moins glorieux, sur une part importante d’emplois très mal payés, souvent exercés par des immigrants, en l’absence de tout salaire minimum fédéral. Le résultat sur l’emploi est bien là : le taux de chômage actuel en Allemagne est de 6,7%, le plus bas depuis la réunification.

Mais les salariés allemands, et leurs syndicats, sont maintenant décidés à revendiquer leur part du fruit de la croissance, et la récompense de leurs sacrifices passés. C’est ainsi que les employés du secteur public ont réclamé, et obtenu, une augmentation de 6,3% de leurs traitements d’ici août 2013 ! Et ce grand succès du syndicat Ver.di vient évidemment renforcer la détermination des autres syndicats. D’où, également, l’ampleur du mouvement social qui se diffuse de l’industrie aux banques : il s’agit d’établir ainsi un rapport de forces en faveur des salariés, dont les syndicats négocient actuellement les salaires.

Les syndicats allemands ont donc en main l’une des cartes majeures qui permettra de sortir par le haut de la crise de l’euro. Souhaitons-leur bonne chance, et espérons que les négociations conduiront à une forte hausse des salaires en Allemagne : car si la réduction des déséquilibres au sein de la zone euro nécessite un ajustement des salaires entre les différents pays, mieux vaut que cet ajustement prenne la forme d’une hausse de certains qu’à travers une baisse de la plupart.


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