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Ce CAC 40 qui progresse sur le dos de l'emploi

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Ce CAC 40 qui prospère sur le dos de l'emploi

Enquête

En cinq ans, les plus grandes entreprises françaises ont détruit 39 400 emplois en France tout en engrangeant les profits et des dizaines de milliards d’aides de l’Etat.

Par YANN PHILIPPIN, JOHANNA AMSELEM

Manifestation de travailleurs de l'industrie automobile devant la Bourse à paris en septembre 2009. (JOEL SAGET / AFP)

Ils accumulent les profits, sont choyés par l’Etat et détruisent des emplois en France. La réputation peu flatteuse des géants du CAC 40 est malheureusement exacte. Au premier semestre, ils ont engrangé 41,5 milliards d’euros de bénéfices, en hausse de 87% sur un an. Mieux encore, ils disposent dans leurs caisses d’un matelas de 146 milliards d’euros de cash, selon une étude publiée le 21 octobre par les Echos. Bref, malgré la mollesse de la reprise en Europe et aux Etats-Unis, nos champions tricolores se portent comme un charme. Mais l’économie française n’en profitera pas. Selon l’enquête réalisée par Libération, les effectifs dans l’Hexagone des quarante groupes du CAC ont diminué de 39 400 personnes entre la fin 2004 et la fin 2009, soit une baisse de 2,5% sur cinq ans. Alors que, dans le même temps et malgré la crise de 2009, l’ensemble du secteur privé a créé 200 600 emplois (+1,1%).

Carnets vides. La situation est contrastée. Il y a les cancres comme France Télécom, champion du dégraissage (-27 600 salariés) et du malaise social, malgré des profits taille maxi (3,4 milliards l’an dernier). Et le bon élève Bouygues et ses 15 400 emplois créés. Insuffisant pour renverser la tendance. «Ce n’est pas surprenant. Les sociétés qui créent de l’emploi sont les PME qui passent de 20 à 50 salariés», réagit Karine Berger, chef économiste de l’assureur crédit Heuler Hermès. Qui tempère aussitôt «Ces grands groupes ne créent pas d’emploi directement, mais ont un impact positif sur l’activité et les effectifs des PME qui sont leurs fournisseurs.» Il n’empêche, le bilan est peu flatteur.

Les sociétés du CAC se défendent en invoquant leur développement fulgurant dans les pays émergents, où ils réalisent l’écrasante majorité de leurs recettes et de leurs profits. Sauf que l’argument ne tient pas.
«Il n’y a aucun lien entre investissements à l’étranger et destructions d’emplois en France», explique l’économiste El Mouhoub Mouhoud (lire page ci-contre). «Notre croissance internationale a créé des emplois en France, dans la gestion de projets ou l’informatique», confirme-t-on chez BNP Paribas (+10 300 salariés). Si les sociétés du CAC taillent dans leurs effectifs à domicile, c’est avant tout une question de rentabilité et d’arbitrage économique. Ils réduisent leurs coûts dans les pays où l’économie est la moins dynamique, comme en France. Le phénomène a empiré avec la crise qui a vidé les carnets de commandes des usines européennes. «Les grands groupes ont été les premiers à réduire leurs effectifs, car c’est plus facile pour eux que pour les PME pour lesquelles un salarié bien formé représente un investissement lourd», ajoute Karine Berger.

Sans surprise, l’industrie est la championne des restructurations (-50 200 emplois). Deuxième de notre classement, PSA en a supprimé 26 600 pour
«réduire ses coûts de structure» et compenser «la baisse de la demande». Il conserve 100 000 salariés en France (en incluant l’équipementier Faurecia), deux fois plus que Renault. Chez Michelin, on assume les 5 000 postes détruits en cinq ans dans l’Hexagone, où les usines doivent être aussi compétitives qu’en Chine. «Nous ne remplaçons qu’un départ sur deux. C’est impératif pour améliorer la productivité et maintenir l’emploi en France», dit-on au siège. Même le labo pharmaceutique Sanofi, dont le fondateur, Jean-François Dehecq, est un ardent défenseur du made in France nommé par Nicolas Sarkozy à la tête du comité des Etats généraux de l’industrie, n’a créé aucun emploi en France en cinq ans. Ça ne va pas s’arranger avec la suppression en cours de 1 300 postes dans la recherche.

Poids lourds. Le déclin industriel n’est pourtant pas une fatalité. Le champion des puces électroniques, ST, a créé 1 000 emplois en France dans un secteur ultra bataillé où la production est massivement localisée en Asie. Idem pour EADS (+2 000 salariés) grâce au dynamisme d’Airbus, mais le géant franco-allemand de l’aéronautique a lancé il y a deux ans un vaste plan pour développer sa production dans les pays à bas coûts. «Le patriotisme industriel européen n’est pas une option avec un dollar entre 1,50 et 1,60 euro, un pétrole qui flambe et une nouvelle concurrence dans notre industrie des pays émergents. […] Pour être clair, mon job n’est pas de maximiser l’emploi en Europe», lançait à l’époque, dans le Figaro, le patron d’Airbus, Thomas Enders. C’est pourquoi Jean-Claude Volot, médiateur de la sous-traitance nommé en avril par le gouvernement, tente de convaincre nos poids lourds de se fournir davantage en France.

Largesses. Les groupes créateurs d’emplois sont les banques, les grands du BTP et les spécialistes de l’énergie et de l’environnement (même si Total, recordman de France des profits, a supprimé 1 600 postes. La vraie surprise vient des groupes de services (-38 600 emplois), plombés il est vrai par le cas France Télécom, mais aussi par les distributeurs Carrefour et PPR (La Redoute, Conforama, etc). Cela n’empêche pas l’Etat de se montrer très généreux (lire page 4). Grâce à plusieurs niches fiscales, les sociétés du CAC parviennent par exemple à payer 2,3 fois moins d’impôt sur les bénéfices que les PME. Des largesses pas vraiment payées de retour. «La France doit arrêter de baser sa stratégie industrielle sur les grandes entreprises. Elles chassent les subventions, mais ne garantissent aucun retour en termes d’emploi sur notre territoire», plaide Jean-Claude Volot. Difficile toutefois pour l’Etat de se fâcher avec ces géants qui emploient à eux seuls 1,5 million de personnes et développent, du TGV à l’A380, les technologies qui font la fierté du pays.

10/11/2010




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