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Le travail de nuit étalé au grand jour

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Le travail de nuit étalé au grand jour

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Le Bazar de l'Hôtel de Ville, à Paris, est dans le collimateur des syndicalistes opposés au travail de nuit. (Photo FLLL)

RÉCIT : Après les ouvertures dominicales, l’intersyndicale du commerce d’Ile-de-France Clic-P s’attaque aux nocturnes de certaines enseignes, qu’elle traîne au tribunal.

Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL
22 juillet 2013

L’ordre du jour est chargé. Au premier étage de la Bourse du travail de la rue de Turbigo, à Paris, treize personnes siègent ce 28 juin. L’intersyndicale Clic-P, qui rassemble les syndicats du commerce d’Ile-de-France, est presque au complet. Il y a les représentants CGT, CFTC, CFDT, FO, SUD, deux de leurs avocats et des délégués d’entreprise.

Connu pour ses procédures contre le travail du dimanche, Clic-P a enfourché un nouveau cheval de bataille depuis janvier 2012 : le travail de nuit. La première offensive a été couronnée de succès, les Galeries Lafayette ont été condamnées l’an dernier à ne pas employer de salariés après 21 heures avec une amende de 30 000 euros par infraction à la clé. Et le 5 juin, le Clic-P a obtenu en référé la condamnation d’Uniqlo. Le tribunal de grande instance de Paris a interdit à l’enseigne, qui a une boutique dans le quartier de l’Opéra, «d’employer des salariés entre 21 heures et 6 heures […] sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée».

«Transports». Ce soir-là, les syndicalistes évoquent une nouvelle cible : le Bazar de l’Hôtel de Ville (BHV), qui a repoussé jusqu’à 21 h 15 la fermeture de ses magasins contre l’avis de l’inspecteur du travail, mais avec l’accord de la Direction générale du travail. Pour les membres du Clic-P, pas question de laisser passer, même si le BHV ne dépasse l’horaire légal (21 heures) que d’un quart d’heure. «Pour les salariés, ça signifie une demi-heure de travail en plus et des transports plus problématiques», argumente un syndicaliste. Selon la loi, le recours au travail de nuit doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité ou un service d’utilité sociale.

Comment attaquer le BHV ? «Référé en suspension ?» avance maître Vincent Lecourt, devenu le grand spécialiste des référés contre le travail du dimanche et qui accompagne le Clic-P depuis l’origine. «On peut pas organiser une manif devant le ministère ?» rebondit Alexandre Torgomian, de la CFDT. «C’est plus facile d’envahir le bureau de Jean-Denis Combrexelle [directeur général du travail, ndlr] que celui de [son ministre Michel] Sapin, les grévistes de PSA ont réussi à le faire», répond une voix. Le collectif décide finalement d’envoyer un recours gracieux au ministère, juste avant la procédure en justice.

Les francs-tireurs du Clic-P, souvent en disgrâce vis-à-vis de leurs propres organisations, forment une bande à part dans le paysage syndical français. En dehors des entreprises frappées par les plans sociaux, il est rarissime que la quasi-totalité des syndicats s’unissent pour mener un combat. C’est pourtant ce que parvient à faire Clic-P depuis plus de trois ans. Son arme : les procédures judiciaires. Il a traîné au tribunal de grandes enseignes, avec des victoires éclatantes, contre les Galeries Lafayette, Monoprix ou, plus récemment, les Apple Stores. Seul un dossier reste en suspens : Sephora .

La naissance du Clip-P tient sans doute à ses personnalités, et au vote, en 2009, de la loi Mallié qui a assoupli l’ouverture des magasins le dimanche. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, était opposé au travail dominical. Mais dans la foulée de la loi, il avait organisé une table ronde entre patronat et syndicats pour débattre des règles. C’est dans ce cadre qu’« avec la CGT et FO, on a commencé à discuter d’une plateforme commune et proposé à SUD et à la CFDT de nous rejoindre », raconte Eric Scherrer, de la CFTC. Il fallait s’organiser pour peser.

«longue haleine». La première rencontre intersyndicale remonte au 26 février 2010. C’est la date de naissance du Clic-P, association informelle, qui se réunit au moins une fois tous les deux mois. «Dès le début, j’ai prévenu que nous partions dans une lutte de longue haleine», rapporte Karl Ghazi, de la CGT. Les objectifs sont fixés : s’attaquer d’abord au commerce alimentaire parisien et affirmer des revendications salariales. Une plateforme approuvée par la première assemblée générale des adhérents des cinq syndicats, dont la CGT, de loin la première sur Paris avec 6 000 adhérents.

Encore balbutiante et inexpérimentée, l’intersyndicale décide d’attaquer petit. Il y a de quoi faire. La loi Mallié a fait tomber des digues, les supérettes parisiennes lèvent allégrement le rideau le dimanche. «Moi, j’ai commencé par le Franprix de Colonel-Fabien, à côté de mon bureau, en allant y chercher des tickets, se souvient Laurent Degousée, de SUD. C’est le premier à avoir été assigné.» Pour prouver que les entreprises trichent, il faut recueillir des tickets de caisse émis le dimanche après 13 heures et le lundi. Un travail de fourmi. Une première vague d’assignations a suivi. Le modus operandi est le même aujourd’hui. A la réunion du 28 juin, les syndicalistes discutent d’une offensive visant les Monoprix parisiens. «Il faut mener un quadrillage sérieux avec pour objectif septembre», lance Karl Ghazi. «Mais il faut parvenir à en démontrer l’illégalité sur la durée, avec des tickets, des témoignages et des attestations», intervient Me Lecourt.

Autre méthode testée depuis quelques mois : la présence systématique à l’audience économique et financière du tribunal de police. Le Clic-P y est représenté «tous les vendredis», raconte Alexandre Torgomian, de la CFDT. A chaque fois que l’inspection du travail signale à la justice un commerçant qui ne respecte pas la fermeture hebdomadaire, l’avocat des syndicalistes demande à se porter partie civile. L’objectif : réclamer des dommages et intérêts, afin d’alourdir la note pour les entreprises. Faute de quoi elles s’en sortent avec «des contraventions de cinquième classe, dont les montants sont minimes : la plus forte depuis le début s’élève à 8 000 euros pour un Franprix», rapporte Stéphane Bruschini, l’un des avocats du Clic-P. Des montants peu dissuasifs, qui n’empêchent pas l’enseigne de recommencer. Sur les nocturnes, les Galeries Lafayette et le BHV ont renoncé parce que le montant des astreintes était antiéconomique. «On dit au juge : avec des petits montants, ils vont revenir. Montrez l’exemple», ajoute Me Bruschini, qui fait systématiquement appel des décisions défavorables au Clic-P.

Les adversaires de ces «chevaliers blancs» de la légalité dominicale et nocturne les accusent d’avoir trouvé un bon moyen de renflouer leurs caisses. Ils répliquent qu’ils ne font que faire appliquer la loi. «On nous dit : "Les syndicats veulent s’enrichir", poursuit Laurent Degousée. Mais nous parlons de textes législatifs clairs : on n’a pas le droit d’ouvrir le dimanche, ni de faire travailler après 21 heures.» Même son de cloche d’Eric Scherrer, de la CFTC : «On se bat sur des questions de principe. Si les entreprises sont condamnées, elles n’avaient qu’à respecter la loi.» A ceux qui leur opposent que le travail du dimanche crée de l’emploi, ils citent en exemple Virgin, qui avait obtenu l’autorisation dominicale sur les Champs-Elysées en 1993 et qui vient d’être liquidée. Et, «à chaque fois qu’on a attaqué des magasins sur le dimanche, on est tombés sur des salariés qui sont contre», souligne Françoise Nicoletta, secrétaire de la Fédération nationale du commerce FO.

Bisbille. Un point commun rapproche quelques-uns des militants du Clic-P : d’être en bisbille avec la direction de leur propre syndicat. Certains assurent même que la «fédération nationale veut [leur] mort». C’est le cas de la CGT. Le syndicat parisien du commerce «ne reçoit plus sa subvention de 300 000 euros et nous avons dû licencier un salarié», détaille Karl Ghazi. Leur méthode est controversée. «Nous nous opposons à intenter un procès à une seule enseigne, car cela la met en difficulté par rapport à sa concurrente», estime Aline Levron, de la fédération CFDT du commerce. Côté CFTC, le syndicat parisien du commerce créé en 1987 et dirigé par Eric Scherrer vient d’être exclu par sa confédération. «Nous préférons agir localement plutôt que mettre en place une grosse machine éloignée du terrain, estime Patrick Ertz, le président de la fédération CFTC du commerce. Et nous ne sommes pas là pour jeter les salariés dans la nature.»

Dans ces conditions, combien de temps le Clic-P durera-t-il ? Pour l’instant, ses membres défendent toujours bec et ongles leur revendication de base : éviter que Paris devienne un supermarché ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Et d’ajouter que si Clip-P n’avait rien fait, ce serait le cas depuis deux ans.


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