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Sodexo ne goûte pas les syndicats

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Sodexo ne goûte pas les syndicats


Décembre 2010 Par Elarif Youness

En France, sa patrie d'origine, Sodexo soigne son image. Le numéro un mondial de la restauration collective (380.000 salariés, dont 25.000 en France) est un partenaire de longue date des collectivités et des entreprises, et mieux vaut une bonne réputation pour décrocher les contrats. Son fondateur, Pierre Bellon, petit entrepreneur marseillais parti de rien a été vice-président du CNPF, puis du Medef, de 1981 à 2005. A 80 ans, il reste une figure charismatique du patronat. Ce lundi 13 décembre, une réunion entre la direction de Sodexo et des leaders syndicaux du monde entier a eu lieu. Le groupe français tentera de sauvegarder son image face aux syndicats.

Aux Etats-Unis, pourtant, les protestations d'un syndicat écornent franchement le mythe. Le Service Employees International Union (SEIU), organisation forte de 2,2 millions de salariés, mène depuis plusieurs mois une guerre sans merci contre le géant français auquel il reproche de graves entorses au droit du travail et des pratiques antisyndicales. Le combat est d'abord médiatique: en avril, SEIU, deuxième syndicat chez Sodexo US, avait même fait venir Danny Glover, héros de l'Arme fatale, lors d'une manifestation dans le Maryland. L'acteur de 64 ans avait déclaré qu'il allait «conduire une enquête indépendante sur les droits des salariés et leurs conditions de travail» à Sodexo. Puis il avait été arrêté par la police. Les images ont fait le tour du monde. SEIU a lancé un site internet, changersodexo.fr, destiné à relayer sa campagne. Et a même déposé plainte, avec la CGT, contre le groupe français pour discrimination syndicale devant l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Depuis, Sodexo est sous pression. Pour éviter que ces révélations ne dérangent son business, à commencer par
son contrat avec les Marines américains, de l'ordre de 150 millions de dollars sur huit ans, le groupe tente de nouer le dialogue avec les syndicats. A Paris, ce lundi, les syndicats tenteront d'obtenir de Sodexo une promesse d'accord-cadre avec l'UITA (Union internationale des salariés de l'alimentation), fédération syndicale internationale représentant la majorité des employés syndiqués de Sodexo, afin de parvenir à un accord global renforçant les relations sociales au sein du groupe.

Un rapport de HRW

SEIU n'est pas le seul à déplorer l'attitude de Sodexo en dehors de la France. Le 2 septembre, l'ONG Human Rights Watch publie un rapport accablant sur les «violations de la liberté syndicale des travailleurs aux Etats-Unis par des entreprises multinationales . Sodexo y est largement épinglée. Des cas très précis de répression syndicale et de salariés maltraités ou intimidés sont mentionnés. Ainsi, en 2003, dans une usine de blanchisserie industrielle de Phoenix, en Arizona, Sodexo a licencié quatre salariés qui venaient de partir à une manifestation un quart d'heure auparavant. Et les a illico remplacés.

En 2003, dans cette même usine de Phoenix, les salariés devaient se prononcer sur l'instauration ou non d'un syndicat. Après plusieurs menaces et un discours anti-syndicats, Sodexo est parvenue à faire basculer le vote: les employés ont refusé la représentation syndicale. Le NLRB, agence fédérale en charge des relations entre les employeurs et les syndicats, annulera les résultats du vote. Cette situation relève d'un «
contexte exceptionnell qui n'avait plus lieu d'être» d'après la multinationale française, qui souhaite que ces éléments ne soient pas utilisés afin de «donner une fausse image de Sodexo».

Pourtant d'autres éléments du rapport contredisent l'entreprise française. Après que le Congrès a voté en 2007 le Employee Free Choice Act, une loi facilitant la création de syndicats, Sodexo continuait à exiger de ses cadres qu'ils s'opposent à la constitution de syndicats. Une présentation PowerPoint intitulée «
Organisations syndicales et Employee Free Choice Act - Etes-vous prêts?» était soumise aux cadres. Le document proposait aux responsables des réponses types, à utiliser pour décourager les salariés à se syndiquer. Par exemple: «Si vous lisez les journaux et regardez les actualités, vous saurez combien d'entreprises “représentées” (ayant des élus syndicaux) ont fermé leurs portes dans cet Etat et dans le pays tout entier.» Ou encore: «L'entreprise a le droit (...) d'embaucher des ouvriers pour remplacer de façon permanente chaque gréviste (...). L'entreprise aux prises avec une grève fera ce qu'elle doit faire pour veiller à la continuité des activités.» Sodexo rétorque que ce document, qu'elle qualifie «d'obsolète», n'est plus utilisé...

20 octobre, devant le siège mondial de Sodexo à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Une centaine d'employés manifestent leur ras-le-bol face aux méthodes de la multinationale. Beaucoup sont français. Les autres, une poignée d'entre eux, ont pu obtenir un visa et viennent des Etats-Unis, du Maroc, ou de Colombie. Tous ensemble, en français, crient: «
Sodexo escroc!» A l'intérieur, des syndicalistes discutent avec la DRH, Elisabeth Carpentier. La CGT et la CFDT ont mobilisé. Mais de toute évidence, c'est SEIU qui orchestre la protestation. Spécialement dépêchée des Etats-Unis, la chargée de communication de SEIU, Renee Asher, bat le rappel pour une conférence de presse à 19 heures dans un appartement parisien, près de la place de la Nation.

Un syndicat soupçonné de fraude

A l'heure dite, une vingtaine de salariés de Sodexo et de représentants syndicaux étrangers sont là. Marocains, colombiens, américains..., tous affirment que Sodexo ne respecte pas toujours les droits de ses salariés à l'étranger, et profite du droit du travail local, moins contraignant qu'en France. Le représentant des salariés marocains, M. Mohammed Ennahili, membre de l'Organisation démocratique du Travail, déclare que dans son pays «
beaucoup d'employés n'ont pas de cartes professionnelles où le salaire doit être indiqué. D'autres ne touchent pas le Smic.» Marcia Snell, 57 ans, chef d'équipe dans la cantine de l'université de l'Ohio, raconte à Médiapart que les employés n'ont «ni congés maladie, ni vacances, ni couverture médicale». Après une opération à cœur ouvert, Marcia a repris le travail au bout d'un mois. «Mais c'était trop dur. Je n'en pouvais plus, alors j'ai pris trois jours de congés: l'entreprise m'a envoyé une lettre d'avertissement.» Marcia reproche également à Sodexo de ne pas offrir de promotion à ses employés: «Le manuel des règles de Sodexo promet une augmentation chaque année. J'ai travaillé six ans sans revalorisation salariale.» Manuel Martinez, employé colombien : «Le 17 avril 2010, je me suis affilié à un syndicat car Sodexo ne me payait pas mes heures supplémentaires. Le lendemain j'ai reçu une lettre de renvoi.» L'entreprise prétend ne pas avoir été mise au courant de l'affiliation du jeune homme au syndicat local. Mais ne dit rien sur les heures non payées.

Sodexo ne nie pas les problèmes. Ainsi, au Brésil, de l'aveu même du groupe lors d'une conférence de presse le 10 novembre, l'âge légal minimum pour intégrer l'entreprise n'est pas toujours respecté. Le groupe assure mettre tout en place pour que ce genre de dérives ne se reproduise plus, sans donner plus de précisons. Et préfère dévier le tir sur SEIU.

«
Aux Etats-Unis, nous sommes face à une lutte d'influence syndicale, pas d'un conflit social», explique le 25 octobre dans Les Echos le patron de Sodexo, Michel Landel. D'après Sodexo, «l'objectif de SEIU est de devenir le plus rapidement possible le principal syndicat du secteur de la restauration aux Etats-Unis».

Effectivement, deuxième syndicat de Sodexo aux Etats-Unis, SEIU est en pleine offensive syndicale contre son éternel rival majoritaire, Unite Here, plutôt conciliant avec la direction. C'est qu'aux Etats-Unis, le syndicat qui arrive en tête des élections professionnelles rafle les postes et crédits qui vont avec, laissant à ses adversaires la portion congrue. Voilà pour l'arrière-plan syndical...

Là où l'affaire se corse pour SEIU, c'est que sa crédibilité s'effrite de jour en jour à coups de scandales retentissants. Très proche du parti démocrate
, SEIU aurait ainsi permis à certains démocrates de remporter des élections de manière frauduleuse. Le sénateur du Nevada, Harry Reid, est ainsi soupçonné d'avoir remporté, le 2 novembre dernier, son siège grâce à des membres de SEIU en charge des machines à voter. Lors des élections de mi-mandat, plusieurs électeurs du Nevada se sont plaints des machines qui sélectionnaient automatiquement le nom de M. Reid. Curieusement, les techniciens qui avaient programmé et préparé ces machines sont connus pour être des membres de SEIU, et de fervents supporters du parti démocrate et de son représentant local, Harry Reid.

Michael C. Behrent, historien américain et enseignant à Appalachian State University en Caroline du Nord, décrit à Mediapart la mauvaise image du syndicat en Amérique du Nord. «
Les tactiques poursuivies par SEIU et son ancien patron, Andy Stern, sont controversées. Ce dernier a fait de l'augmentation des registres de cotisants son but privilégié, reléguant les revendications des salariés.» Ainsi, Andy Stern et SEIU ont toujours critiqué le secteur des fonds de pension. Mais aujourd'hui, l'ancien chef de SEIU travaille pour l'actionnaire d'une entreprise pharmaceutique, et s'est vu offrir 25.000 stock-options pour ses loyaux services.

En janvier 2009, le syndicat a même été reconnu coupable par un juge fédéral de tentative de
s'accaparer les fonds d'un syndicat rival, le United Healthcare Workers. Outrés par ces pratiques, certains adhérents ont entamé une procédure collective afin de se désaffilier de SEIU. La direction de Sodexo a donc beau jeu de critiquer ce syndicat. Ce qui ne l'exonère pas pour autant de ses propres responsabilités. Et là, la direction est beaucoup plus discrète.



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