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Du parking au parquet, les Goodyear gagnent après 5 ans de lutte

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Du parking au parquet, les Goodyear gagnent après cinq ans de lutte


26 juin 2012

Reportage _ Les 1300 salariés du site d’Amiens et leur coriace leader CGT ont eu raison du chantage à l’emploi. Récit d’un combat épique.

Par
MATHILDE SIRAUD Envoyée spéciale à Amiens

Journée historique pour les salariés de Goodyear à Amiens. Après cinq ans d’un combat acharné, la CGT de l’usine de pneumatiques a donné rendez-vous aujourd’hui aux 1 300 employés du site pour fêter leur victoire : l’abandon définitif par la direction du plan social qui menaçait 817 emplois. Seul subsiste un plan de départs volontaires, assorti du maintien de suppression d'emplois, deux activités, la production de pneus agricoles et la division tourisme. Un épilogue heureux, et surtout rarissime, qui voit un groupe mondial, qui plus est américain, renoncer à une restructuration face à la mobilisation des ouvriers. Retour sur cinq années d’une lutte juridique et syndicale qui pourrait donner des idées à d’autres salariés menacés.

«Vie de famille». 11 juin 2012. Les cols bleus arrivent en traînant des pieds. Le ciel est lourd, chargé d’une fumée grise crachée en continu par la cheminée du site. Il est 21 heures, l’équipe de nuit de l’usine de pneumatiques «Amiens Sud», ex-Dunlop, vient relever celle de l’après-midi. Trois ans après avoir accepté une nouvelle - et très controversée - organisation du travail pour «sauver» leurs emplois, les salariés affichent une mine résignée. Et quelque peu amère. «On galère, on n’a plus de vie de famille, peste Dimitri, 24 ans. On a fait des sacrifices, alors que ceux d’en face, ils ont résisté. Et ont fini par gagner.» Ceux d’en face, ce sont les ex-Goodyear, désormais dénommés «Amiens Nord» depuis la fusion avec Dunlop en 1999 donnant naissance au groupe de pneumatiques Goodyear-Dunlop Tires France. Sauf qu’«eux», à la différence des Dunlop, n’ont jamais accepté les «quatre-huit».

Tout commence par un chantage à l’emploi. En 2007, la direction du groupe Goodyear-Dunlop veut durcir les conditions de travail des ouvriers des deux usines d’Amiens. A Dunlop, les syndicats (CGT, FO, CFTC) cèdent sous la menace des licenciements, et approuvent ces fameux quatre-huit, pourtant largement rejetés par les salariés lors d’un référendum. Il s’agit d’un aménagement complexe du temps de travail qui impose aux ouvriers d’être présents une vingtaine de week-ends par an, sans réelle augmentation de salaire. En face, chez Goodyear, les syndicats font un autre choix. Sous la pression des salariés, ils décident de repousser cette réorganisation jugée intenable. La sanction de la direction ne se fait pas attendre : un premier «plan de sauvegarde de l’emploi» est lancé en mai 2008, menaçant plus de 400 postes. Bref, c’est «les quatre-huit ou la porte». Les syndicats tiennent bon, et attaquent le plan social. Le premier procès d’une longue série, qui seront tous perdus par la direction. Mais à cette époque, celle-ci se croit encore maître du jeu. Et réplique, en avril 2009, en doublant le nombre de licenciements. De 400, le volume de postes supprimés passe à 817. Ce qui correspond à la mort de la filière pneus touristiques. Seuls les 500 emplois des pneus agricoles seraient conservés.

Grande gueule. Arrive alors la période des actions coup de poing. Les salariés de Goodyear défilent au Mondial de l’automobile à Paris, formant la plus grosse délégation d’ouvriers. Ils sèment la pagaille dans les allées du salon, lancent de la farine et des confettis sur les automobiles des constructeurs français. Des dégradations mineures qui donnent lieu à quelques échauffourées avec les forces de l’ordre. Le 11 juin 2009, ils organisent leur plus grosse manifestation devant le siège social du groupe, à Rueil-Malmaison. Ils sont 1 300, soit l’ensemble des effectifs de l’usine, à s’être déplacés. «C’est à ce moment-là que la direction prend conscience de l’ampleur du conflit», se souvient Mickaël Wamen, délégué syndical de la CGT d’Amiens Nord. Parallèlement, la guérilla judiciaire continue. Après plusieurs suspensions du plan social en première instance, la cour d’appel de Versailles donne le coup de grâce, en janvier 2010, confirmant la dernière annulation du tribunal de Nanterre de 2009 pour vice de forme. L’avocat des Goodyear, Fiodor Rilov, tentera même de prouver que le plan social obéit à une logique purement financière. «Etant donné la prospérité économique [du groupe], il était très facile de démontrer que la fermeture de la division tourisme avait pour seul objectif d’augmenter la profitabilité», explique l’avocat. Sans succès, cependant, le juge ne pouvant pas examiner la «cause économique» d’un licenciement. Qu’importe, puisque les plans sociaux sont annulés les uns après les autres.

Au-delà des succès judiciaires, Maître Rilov insiste sur le rapport des forces inédit au sein de l’usine. Et sur le leader de la CGT, Mickaël Wamen, dont l’organisation est devenue ultramajoritaire sur le site. Car le succès des Goodyear doit beaucoup à cette grande gueule syndicale, qui a mené une vie d’enfer aux dirigeants du groupe. «J’ai subi des pressions, traversé des moments de doute, j’ai été mis à pied à titre conservatoire à plusieurs reprises, ou encore convoqué au commissariat, se souvient l’intéressé. Mais aujourd’hui, le revers que se prend la direction est phénoménal !» L’homme, qui a joué à quitte ou double dans ce conflit, est désormais vénéré par une bonne partie des salariés. «La mobilisation s’est faite dès le départ grâce à la CGT, témoigne Walter, ouvrier depuis onze ans à Goodyear. On n’aurait pas eu de leader comme Wamen, ça ne se serait pas déroulé de la même façon !» Le délégué syndical annoncera d’ailleurs lui-même, le 6 juin, la décision des dirigeants d’abandonner le dernier plan social, dans le Courrier picard. Une initiative qui contraindra la direction à publier un communiqué officiel le lendemain.

«Suicidé». Mais, pour l’ensemble des ouvriers, cette victoire est aussi la leur. Et le sentiment de fierté est palpable. Michel, électricien dans l’usine, ne comprend pas que sa femme, menacée à son tour d’un plan social chez Cyclam (équipementier automobile), ne se mobilise pas. «Ailleurs, ils attendent le couperet. Nous, on s’est battus, quitte à perdre des journées de salaire. On a refusé dès le début et on a tenu bon. On veut bien travailler, mais on exige que le travail soit reconnu.» Même état d’esprit pour Hugues, élu CGT au comité d’entreprise, qui peut enfin souffler : «Dans l’usine, c’est le soulagement général.»

Le sentiment de victoire est d’autant plus grand que, de l’autre côté de la route de Poulainville, les ex-Dunlop, dont les représentants syndicaux avaient accepté les quatre-huit, se plaignent aujourd’hui des conditions de travail. Les chiffres sur les arrêts maladie ne sont pas communiqués, mais le taux d’absentéisme s’élèverait à 20%, et les accidents du travail montent en flèche, selon certains syndicats. Mais la CFTC, majoritaire, songerait seulement à consulter les salariés. «Un ouvrier de l’usine s’est suicidé en janvier, la pression n’est pas tenable, dénonce Fabrice Bertin, délégué syndical de la CFDT à «Amiens Sud», lui-même en arrêt maladie. Les autres syndicats disent qu’il n’y aura pas de suppressions d’emplois à Dunlop. Mais moi, je suis réaliste, si on n’est pas rentables, on va sauter.» Et de s’adresser à la CGT d’en face : «On aimerait que Wamen joue un rôle pour nous.» Un appel que l’intéressé dit entendre, tout en restant prudent : «Les salariés de Dunlop sont très inquiets. Depuis l’abandon du plan social pour Goodyear, ils ont le sentiment de s’être fait avoir. J’essaye de recréer une section CGT chez eux, mais fondée sur nos valeurs.»

Le dossier Goodyear n’est pas refermé pour autant. Les contours financiers du plan de départs volontaires restent à fixer. L’avocat va veiller au maintien de l’emploi et assure que «l’employeur ne dispose d’aucun levier pour pousser les salariés au départ». L’avenir des deux usines amiénoises est aussi conditionné à un maintien de la production. Candidat au rachat du site d’Amiens Nord (ex-Goodyear), le géant américain Titan a fini par retirer son offre en décembre face à la persistance du conflit social. Aujourd’hui, les négociations ont repris avec la direction, qui refuse de communiquer sur ce point. Quant aux ex-Dunlop, ils se sont retrouvés au chômage partiel le week-end du 16 et 17 juin, dans le but de réduire le niveau des stocks.

Circonscription. Insatiable révolté, Mickaël Wamen, de son côté, prolonge son combat syndical sur le terrain politique : il s’est présenté aux élections législatives pour le Parti communiste dans la première circonscription de la Somme, où il a récolté 6,7% des voix. Des affiches à son effigie sont toujours placardées aux quatre coins de la ville. Il y a quelques jours, il s’est déplacé à Roubaix auprès des salariées des 3 Suisses, menacées de licenciement. De son local de campagne à Amiens, il raconte avec ardeur ces cinq années de combat acharné, le verbe haut, le regard éclairé. «Certains font de la lutte de places ; nous, on fait de la lutte de classe !» s’enflamme-t-il. Avant de se réjouir, un peu grisé : «On va fêter la victoire du monde du travail sur le monde capitaliste…»



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