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Du PS à LO, tous au procès de Filoche, ex inspecteur du travail

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Du PS à LO, tous au procès de Filoche,
ex-inspecteur du travail


07 juillet 2011 | Par Noémie Rousseau

Les drapeaux du PS, du PCF, de Lutte ouvrière, d'Europe Écologie/les Verts, de la FSU, la CGT ou encore de Solidaires flottent au-dessus d’une cinquantaine de personnes attroupées devant le tribunal de Paris. Ils tendent l’oreille, écoutent leur ami Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail et toujours membre du bureau national du PS, dire sa «stupéfaction» de se retrouver là, aujourd'hui, accusé.

«Le patron a déjà gagné: il n’a pas de comité d’établissement, pas de délégué syndical et c’est l’inspecteur du travail qui est traîné en justice.» Il est amer, ému aussi. Dans quelques minutes s’ouvre son procès à la 31 chambre correctionnelle.

Sur le parvis, la défense s’organise. Tous dénoncent
«une criminalisation sociale» grimpante, citant le procès du leader CGT des salariés de Continental pour refus de se soumettre à un prélèvement ADN ou celui des seize postiers, dont Olivier Besancenot, poursuivis pour «séquestration» après occupation de la poste de Nanterre en mai 2010. «Ce n’est pas seulement le procès Filoche, c’est le procès de l’inspection du travail», lance Benoît Hamon, porte-parole du PS. «C’est le procès de la résistance au démantèlement du code du travail», poursuit-il. Il dira sa solidarité à l'inspecteur en témoignant à la barre.

Pour Alain Vidalies, secrétaire national au travail et à l’emploi au PS, ce procès est
«symbolique»: «La justice doit être du côté de ceux qui protègent la loi.» Le procès «n'a aucun sens juridique, il est donc politique. C'est un règlement de comptes avec quelqu'un qui dérange», poursuit-il. «Inspection relaxée!», scandent-ils en rejoignant la salle d'audience, la pétition aux 38.000 signatures sous le bras.

L’inspecteur du travail, aujourd’hui à la retraite, est poursuivi pour
«entrave au comité d’établissement Guinot», un laboratoire parisien de cosmétiques haut de gamme. Gérard Filoche aurait perturbé le bon fonctionnement du CE, réuni le 23 juillet 2004 pour donner un avis préalable au licenciement de Nassera F. La jeune femme a six ans d’ancienneté chez Guinot, en tant que cadre commerciale chargée de l’export vers les pays du Moyen-Orient.

Au retour de son congé maternité, en mai 2003, elle n’a plus ni bureau, ni ordinateur et se voit affectée à l’Amérique du Sud et au Pacifique. Discriminée, placardisée, elle se tourne vers l’inspection du travail. Gérard Filoche lui conseille de faire appel à son délégué du personnel, son CE… Problème: bien qu'obligatoires pour les entreprises de plus de 50 salariés depuis la loi de 1974, ces instances sont inexistantes chez Guinot et ses 175 salariés.

«J'avais déjà eu une dizaine de salariés se plaignant d'heures sup' non rémunérées qu'ils appelaient entre eux les “heures philanthropiques”», explique Filoche. Sur son conseil, Nassera F. devient déléguée syndicale CGT, crée un CE et bénéficie alors du statut de salariée protégée. De fait, l'employeur ne peut la licencier sans autorisation de l'inspection du travail.

La première demande de licenciement est formulée en juillet 2003. Gérard Filoche la refuse au motif de
«discrimination syndicale et envers les femmes». Le ministère du travail retient plutôt un vice de forme: il aurait fallu que la demande de licenciement soit au préalable validée par le CE. Qu'à cela ne tienne, Guinot réunit son CE. Un «CE bidon», composé de deux personnes de la direction, de la DRH et de «deux salariés choisis par la direction», se défendra Filoche à la barre et «tous licenciés depuis!».

Le silence de Filoche à la demande d'autorisation de licenciement qui lui est adressée en mars 2004 vaut refus implicite. Guinot fait un recours au ministère du travail, en vain. Dans l'entreprise,
«tout le monde voulait sa peau», rapportera un salarié lors de l'instruction. Troisième tentative en juin 2004. Nassera F. aurait pris un congé d'une semaine sans autorisation. Elle produit aussitôt un document signé de son supérieur, attestant que la direction en a bien été informée. Le PDG de Guinot l'accuse d'avoir imité la signature du responsable, fait appel à un graphologue. Il y a «faute lourde», elle est mise à pied. Le 23 juillet, elle est convoquée au CE, réuni pour trancher sur son sort. «Je ne comptais pas y aller, la décision était connue d'avance», expliquera Nassera F. à l'audience. Elle a «peur d'être lynchée» et demande à l'inspecteur du travail de l'accompagner.

Arrivés sur place, surprise: le CE ne se réunit pas en salle de réunion mais dans le bureau du PDG, Nordine Benoudiba. Ce dernier portera plainte contre l'inspecteur du travail pour
«chantage». Gérard Filoche aurait menacé de «porter plainte» pour «harcèlement et discrimination» si le CE votait le licenciement. Erreur d'interprétation selon l'accusé, «moi, tout ce que je peux faire, c'est un procès-verbal», rappelant au passage que le Parquet «classe sans suite trois procès-verbaux sur quatre» établis par l'inspection du travail.

Lors de ce CE du 23 juillet 2004, le comportement de Filoche aurait été
«ironique, moqueur, voire agressif», le PDG a «l'impression que c'est l'inspecteur du travail qui organisait les débats». L'intéressé le reconnaît: «oui, c'est moi qui ai dit aux deux salariés de se retirer du bureau pour voter à bulletin secret».

Il remet la Cour en situation, refait les dialogues. On est au spectacle. La salle rit, captivée par le fils d'ouvrier, qui «sait ce que c'est que d'avoir un patron voyou». Tantôt empathique, tantôt scandalisé, Gérard Filoche explique qu'il partait en vacances à la fin de la semaine, qu'il y avait urgence. La salariée «risquait de ne pas avoir de salaire en juillet et août», justifie-t-il.

Donc, coincé par le temps, il profite du CE pour mener simultanément son
«enquête contradictoire». Sauf que tous les témoignages le disent: «Il n'a jamais été question d'enquête.» L'inspecteur du travail fait venir ce jour-là une collègue de Nassera F. qui n'a pas eu besoin de remplir la fiche en question pour prendre ses congés. Le supérieur de Nassera F. est aussi interrogé par Gérard Filoche: est-ce ou non sa signature sur l'autorisation de congé? «Peut-être.» Il reconnaîtra plus tard qu'il en est l'auteur. Gérard Filoche a la «conviction qu'il y a discrimination», il repart du CE avec la «preuve».

«On ne peut pas être juge et partie», lance la procureure, Marie-Christine Renaud-Varin. Et Filoche de marteler: «Tout était joué d'avance», ajoutant: «De toute façon, en quoi aurais-je besoin d'influer sur le CE?» En effet, selon le droit du travail, la décision du CE est un «avis substantiel», l'inspecteur n'a pas à en tenir compte. «Et si je n'intervenais pas, il n'y aurait jamais eu de CE chez Guinot!», renchérit-il.

2 000 euros d'amende

Le licenciement est dont refusé pour la troisième fois. Mais, cette fois, le ministère du travail ne suit pas et Nassera F. est contrainte de quitter son poste en décembre 2004. «Depuis, la justice m'a donné raison, le patron a été condamné comme délinquant», rappelle aujourd'hui l'ancien inspecteur. Nassera F. a traîné son employeur devant les tribunaux, elle a remporté douze procédures en sept ans, l'a fait condamner pour «faux en écriture» et «entrave». Elle est déclarée «réintégrée» à l'entreprise après une décision de la cour d'appel du tribunal administratif.

Mais parallèlement, le PDG de Guinot a porté plainte contre Gérard Filoche pour
«chantage» en octobre 2004. La première occurrence du «délit d'entrave», qui lui vaut aujourd'hui le tribunal, n'apparaîtra en réalité que dans la lettre de son supérieur, le directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, adressée au juge d'instruction en décembre 2007. Filoche est ainsi convaincu d'essuyer un «retour de bâton» de sa propre hiérarchie pour s'être opposé à la «recodification du travail». Le Parquet classe sans suite la plainte pour «chantage envers le CE» mais décide de poursuivre pour «entrave». Le CE de Guinot, lui, ne se constitue partie civile qu'en mars 2009.

Les témoins défilent à la barre pour soutenir Gérard Filoche, dénoncent le lâchage de la hiérarchie, l'acharnement juridique, le règlement de compte politique. Ex-directeurs généraux du travail, inspecteurs, médecins du travail, féministes, collègues, se disent
«choqués» par le refus de lui accorder la protection fonctionnelle, «un cas unique» (l'État prend normalement en charge les frais de justice de ses fonctionnaires).

Ils se dressent contre la lettre de la DGT,
«un document à charge». «Pourquoi n'y a-t-il pas eu une procédure disciplinaire plutôt qu'une procédure pénale?» interroge Pierre Mériaux, inspecteur du travail à Grenoble. La procureure s'agace: «Ce n'est pas l'objet du débat.»

Un ancien ministre du travail a fait le déplacement, et pas des moindres: Jean Auroux, ministre de 1981 à 1982, dont les lois ont notamment renforcé les pouvoirs du CE, et suivant lesquelles Filoche pourrait aujourd'hui être condamné.
«Je ne suis pas spécialiste de la jurisprudence mais il ne m'apparaît pas qu'il y ait déjà eu un délit d'entrave au CE, je crois que c'est une sorte de première», dit-il.

Me Alexandre Varaut, l'avocat du CE, après ce qu'il nomme
«les copains d'avant et le défilé du droit social», s'en prend à Filoche, «l'inspecteur trop zélé». Il attaque sa «manière de se défendre», «une défense en halo où l'on préfère parler des difficultés du monde du travail». Une défense qui serait aussi «symptomatique», l'accusé faisant «tout reposer sur sa personne», «convaincu qu'il est ontologiquement innocent». Gérard Filoche écoute, tête baissée, immobile. «Il pense faire le bien, quitte à faire de petits arrangements avec le droit, (...) et c'est comme ça qu'un CE se termine en meeting.»

La procureure, Marie-Christine Renaud-Varin, s'adresse à
«Filoche, le redresseur de torts». Agacée d'avoir vu l'audience se métamorphoser en «tribune politique et syndicale», elle invoque une «confusion des genres» et un «comportement anormal», réclame 2.000 euros d'amende.

«Oui, c'est un homme qui n'hésite pas à y aller» quand un «salarié a peur d'être lynché», rebondit Me Dominique Tricaud, pour la défense. Et de finir sur les mots de Stéphane Hessel: «Indignez-vous.»

Le jugement est mis en délibéré au 12 octobre.



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