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Des provisions pour libraires

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Des provisions pour libraires


Source : Libération_4 juin 2013

Pour résister à la concurrence d’Amazon, la ministre de la Culture a annoncé, lundi à Bordeaux, un bonus de 2 millions d’euros pour les indépendants. Les éditeurs participeront aussi à hauteur de 7 millions.

Par
FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

En état de grâce. Une manne est tombée, lundi, du ciel enfin bien dégagé sur le théâtre national de Bordeaux. L’assemblée ébaubie des 750 participants a applaudi à tout rompre le discours de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. De mémoire de syndicaliste libraire, on n’avait pas vu un tel cadeau depuis longtemps. Ou si, peut-être en 1981, quand un autre ministre, sous l’impulsion d’un éditeur très déterminé, avait fait passer une loi sur le prix unique du livre qui visait aussi à préserver le réseau de librairies françaises. Mais c’était trente ans en arrière. Internet attendait dans les limbes et, par voie de conséquence, une des plus grandes réussites du commerce électronique, le grand méchant Amazon. Un nouvel acteur qui a fait, entre autres, de l’ombre à la librairie indépendante, qui représente entre 2 500 et 3 000 points de vente et 13 000 emplois. Un secteur majoritairement formé de PME suspendues à leurs banquiers, et un chiffre d’affaires global en recul de 8% entre 2003 et 2012.

En tout, plus de 18 millions d’euros vont être mobilisés au profit des librairies. Un bel effort du gouvernement donc, qui avait déjà, au Salon du livre de Paris, le 25 mars, dégainé quatre mesures de soutien. Son plan Marshall tenait alors en quatre points : un fonds d’aide à la trésorerie de 5 millions d’euros, financés dès le mois de juillet via l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic), un fonds d’aide à la transmission de 4 millions d’euros, versés à l’Association pour le développement de la librairie de création (Adelc) en octobre,
«quand les libraires ont besoin de recettes après la rentrée littéraire et pour faire la jonction avec les fêtes de fin d’année», précise-t-on au ministère.

Maillon faible. Les deux autres points étaient la nomination d’un médiateur du livre pour faciliter la conciliation des litiges, et l’assermentation des agents du ministère qui pourront constater les infractions commises à l’égard du prix unique. Ces deux mesures, qui touchent à la loi de 1981, doivent prendre un train parlementaire, au plus tard au premier trimestre 2014. Mais un bonus, en plus des 9 millions du Salon, a été mis sur la table des «rencontres nationales de la librairie» par Aurélie Filippetti : 2 millions qui seront donnés annuellement au Centre national du livre (CNL).

Sur le budget annuel de 40 millions du CNL, seuls 1,6 million en 2012 et 2,5 millions en 2013 vont à la librairie (subventions pour la création, le développement ou la reprise, pour la mise en valeur des fonds, pour des sites collectifs, etc.), un pourcentage jugé bien maigrichon. L’enveloppe sera désormais de 4,5 millions en 2014. Le ministère avait planché un temps sur une taxe supplémentaire ou l’augmentation d’une existante ; l’hypothèse n’a pas été retenue par Bercy, pas chaud sur ce sujet. Reste que la librairie est un commerce. La rue de Valois avait fortement incité la chaîne du livre à jouer la solidarité envers le maillon faible. A la filière de prendre aussi ses responsabilités, et de montrer sa bonne volonté avec des
«contributions volontaires» au moins à hauteur de la manne gouvernementale. Petite épée de Damoclès quand même : ces fameuses contributions volontaires pourraient devenir obligatoires…

A Bordeaux, c’est l’édition, parfois soupçonnée de jouer sur tous les tableaux, qui a montré l’exemple. La félicité était totale.
«Nous, éditeurs, réaffirmons notre volonté d’aider la librairie, en priorité les librairies qui redoublent de créativité pour développer leur activité», a déclaré Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE), devant un aréopage de 500 libraires tout ouïe. Et d’annoncer «un effort exceptionnel des éditeurs, qui se sont fixés l’objectif volontaire de financer à hauteur de 7 millions d’euros un fonds complémentaire d’aide à la librairie», à verser en 2014 avec gestion confiée à l’Adelc. Pour principalement restructurer des trésoreries. Ces fonds devraient venir de la marge que les éditeurs vont gratter avec le passage de la TVA sur le livre de 5,5% à 5% au 1 juillet 2014, le montant total étant estimé à entre 10 et 12 millions d’euros. Un geste fort, en tout cas, que n’avaient pas fait les grosses compagnies discographiques et des producteurs, par exemple, au moment de la dématérialisation de la musique. Oubliés dans le maelström, les disquaires ont mis la clef sous la porte.

Restent d’autres acteurs de la chaîne invités à apporter leur obole, comme la cinquantaine de grandes librairies amenées à déterminer qui, que, quoi, selon les moyens. Amazon, reçu par deux fois rue de Valois, a également été incité à verser sa contribution volontaire.
«Aucun retour à ce jour», lâche une source ministérielle. Le site de commerce américain, qui doit 120 millions d’euros au fisc français, est devenu en quelques années la bête noire de la librairie indépendante. «Aujourd’hui, tout le monde en a assez d’Amazon qui, par des pratiques de dumping, casse les prix pour pénétrer sur les marchés, pour ensuite faire remonter les prix une fois qu’ils sont en situation de quasi-monopole», a attaqué la ministre de la Culture.

Pluie d’or. Le gouvernement étudie donc la possibilité d’interdire le cumul des frais de port gratuits et la réduction de 5% sur le prix des livres. La mesure vise directement l’enseigne américaine, qui pratique l’optimisation par tous les bouts, mais qui est paradoxalement aidée par les collectivités locales quand elle implante une troisième plateforme logistique en France, à Chalon-sur-Saône, sous l’argument de la création de 500 emplois directs.

On sait qu’aux Etats-Unis, 10 000 emplois dans la librairie ont été détruits du fait de l’implantation d’Amazon. Mais le géant du Net, spécialiste de l’évasion fiscale, se combat aussi au niveau européen. Il faudra notamment attendre le 1 janvier 2015 pour que la TVA soit prélevée dans le pays de l’acheteur et non pas dans celui où se trouve le siège de l’entreprise.

«Il y a eu une prise de conscience que nous formons une chaîne qui nous tient les uns les autres, avance Matthieu de Montchalin, libraire à Rouen et président du Syndicat des librairies françaises (SLF). Si le maillon libraire lâchait, une majorité d’éditeurs en pâtiraient, car le pourcentage de leur chiffre d’affaires réalisé en librairie est parfois de 40 à 60%, et des centaines de titres ne pourraient pas sortir.» La pluie d’or bordelaise ne règle pourtant pas tous les problèmes de la librairie. Des sujets sont en chantier avec les éditeurs : le transport du livre et les taux de retour, aux alentours de 25%, parmi les plus importants d’Europe.

L’aide apportée par l’Etat veut prioritairement soutenir la modernisation et la vente en ligne des libraires indépendants français. Evitant de répéter l’erreur de copier Amazon - après l’échec de 1001libraires.com, qui s’appuyait sur un entrepôt et un système de distribution semblable à celui du site américain -, les mutualisations d’indépendants se multiplient. Après Lalibrairie.com, lancé en 2011 par Librest, qui s’appuie sur un réseau de 800 magasins en France, Leslibraires.fr qui en rassemble 60 sur tout le territoire, Parislibrairies sur toute la capitale, la riposte s’organise. Selon Matthieu de Montchalin,
«nous sommes en train d’utiliser l’arme première des libraires, les stocks, pour dire à nos clients : "Ne croyez pas qu’il y a un seul stock qui compte en France".»


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