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Bernard Thibault à Libération: "Avec son projet, l'Elysée va amputer le niveau des pensions"

Archives > 2010 > Espace presse

Vendredi 30 Avril 2010
interview
«Avec son projet, l'Elysée va amputer
le niveau des pensions»

Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, appelle à la mobilisation
le 1er Mai sur le dossier des retraites


Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT,
appelle l'ensemble des Français à se mobiliser
samedi, pour défendre l'emploi, le pouvoir d'achat
et les conditions de travail. Mais aussi et surtout
les retraites, pour lesquelles les premières pistes de
réforme du gouvernement l'inquiètent.

Ce 1er Mai, c'est un test décisif dans votre
rapport de force avec le gouvernement sur le
dossier des retraites ?

Vu le contexte, cette édition est tout sauf un
1er Mai rituel. Si l'on veut peser sur le projet de loi,
c'est maintenant qu'il faut se mobiliser, et non pas
dans un mois, quand le texte sera ficelé. Soyez sûr
que le gouvernement, lui, sera très attentif au
niveau de la mobilisation. Même s'il a déjà défini la
philosophie de son projet.

Le gouvernement est pourtant resté très discret
jusqu'ici...

Oui, mais on sent bien que son unique souci est de
faire des économies. Et sa principale piste, pour
l'instant, consiste à vouloir faire travailler les gens
plus longtemps, en repoussant l'âge légal de départ
[aujourd'hui à 60 ans, ndlr], éventuellement en lien
avec un allongement de la durée de cotisations. Or,
dans le même temps, il dit ne pas vouloir toucher au
niveau des pensions. Mais les mesures de ce type,
qui ont déjà inspiré les précédentes réformes, ont
toutes conduit, de fait, à faire baisser le taux de
remplacement - c'est-à-dire le rapport entre la
retraite et le dernier salaire - de l'ordre de 20% par
rapport aux générations précédentes. Si vous
allongez toujours plus la durée de cotisation, mais
sans résorber le chômage, vous amputez alors
mécaniquement le niveau des pensions. C'est ce qui
nous attend avec le projet du gouvernement.

Le problème financier est pourtant réel, il faut
bien trouver des solutions...
Augmentons alors les ressources, par le
développement de l'emploi et l'instauration de
nouveaux prélèvements sur les revenus financiers,
les stock-options, l'intéressement et la participation.
Une autre façon de faire progresser les recettes,
c'est d'augmenter les salaires. On peut aussi
moduler les cotisations sociales en fonction de la
politique salariale et d'emploi des entreprises, qui
concentrent aujourd'hui leurs forces de travail sur
les 30-50 ans. Un million d'emplois en plus, c'est
5 milliards d'euros supplémentaires dans les caisses
de retraites. Mais si l'on ne joue que sur le report de
l'âge de départ, les Français doivent savoir que l'on
va vers une retraite à 72 ans pour équilibrer les
comptes... C'est une aberration. Pour la CGT,
comme pour la plupart des organisations
syndicales, le droit de partir à 60 ans est un point
non négociable.

Le gouvernement a mis en place un processus de
concertation avec les partenaires sociaux. Ne
pouvez-vous pas peser dans ce cadre plutôt que
dans la rue ?

Il y a un affichage, mais pas de véritable
concertation. Lundi, nous avons passé une heure
avec le ministre du Travail, Eric Woerth, puis deux
heures le lendemain avec son directeur de cabinet
pour aborder quatre thèmes, dont seuls deux d'entre
eux ont pu être traités... Nous avons demandé une
réunion avec les syndicats, le patronat et le
gouvernement, comme cela se fait dans tous les
pays européens sur un tel sujet. Mais sans réponse
officielle pour l'instant. On nous dit ensuite qu'il y a
un problème de financement mais qu'on n'a pas le
droit d'en parler... Comme concertation, j'ai connu
mieux.

L'intersyndicale s'est fissurée, et FO,
notamment, vous a quittés. Vous allez continuer
à cinq au lieu de huit ?


Nous savons que nous ne partageons pas tous les
mêmes orientations sur l'avenir des retraites, mais je
trouve positif que les syndicats mettent en commun
leur réflexion. La retraite est un pilier du contrat
social, que nous devons défendre de façon unitaire.
Si les syndicats apparaissent d'abord préoccupés par
leur propre chapelle, comme semble le faire Jean-
Claude Mailly de FO, nous apparaîtrons comme
défaillants aux yeux des salariés.

Les rapports ont visiblement changé avec la
CFDT depuis la réforme de 2003 qui vous avait
opposés de façon assez violente...

Ce qui a changé, c'est qu'on peut désormais
reconnaître, de part et d'autre, qu'on est pas toujours
sur la même position. Même si finalement, nous
sommes tous deux d'accord pour le maintien du
départ à 60 ans et la recherche de nouvelles sources
de financement. La CFDT a décidé d'organiser, lors
de son congrès, un débat sur la durée de cotisations,
c'est son choix. On peut assumer nos différences
quand il y en a, et surtout ne pas se raconter
d'histoires, ne pas faire semblant comme en 2003.

Le président de la République semble faire
preuve d'écoute. Il vous a reçu lundi soir en vue
du sommet social qui doit se tenir mi-mai à
l'Elysée... Vous avez réussi à vous mettre
d'accord ?

Nous avons un diagnostic très différent de la
situation. Et donc, partant de là, des solutions
difficilement conciliables. Nicolas Sarkozy
considère que plusieurs indicateurs laissent
entrevoir une sortie de crise, notamment les chiffres
du chômage. Ces chiffres très contestables, qui
montrent surtout une montée de la précarité, ne
suffisent pas à décréter la fin de la crise.
S'agissant des mesures prises l'année dernière,
elles restent de portée très limitée. Pour une raison
simple : une fois les annonces faites, les critères définis
pour en bénéficier sont très restrictifs. Un exemple :
seules 34 000 primes de 500 euros sur les 250 000
annoncées en février 2009 pour les jeunes de moins
de 25 ans ont été effectivement versées. Et il y a
fort à parier qu'il en sera de même avec les
chômeurs en fin de droits. Au-delà des mesures
conjoncturelles, nous revendiquons surtout des
mesures salariales ambitieuses dans les entreprises,
une politique publique qui stoppe les coupes
sombres dans les budgets et mette fin au dogme du
non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux
partant à la retraite, de même qu'une vraie politique
industrielle.

Il y a encore pire, en Grèce, au Portugal...

On nous a expliqué, à coup de G20 et de
déclarations tonitruantes, que le capitalisme allait
être régulé, que l'on allait mettre fin aux excès des
traders et des banques, et que les paradis fiscaux
allaient disparaître. La réalité est évidemment très
différente. Ce qui se passe aujourd'hui en Grèce, au
Portugal et en Espagne, nous montre que la crise est
loin d'être finie. Les Etats sont désormais euxmêmes
menacés par la spéculation financière. Et la
France n'est pas à l'abri. Le comble, c'est que le
système financier, qui est à l'origine de la crise qui
a tant coûté à nos finances publiques et qui a détruit
680 000 emplois en France, est celui-là même qui
nous demande maintenant de tailler dans notre
système social, et notamment dans nos retraites. Or,
si le déficit actuel des régimes a tant dérapé, c'est
avant tout dû à la crise financière, et non pas au
déséquilibre démographique. Les salariés n'en sont
pas responsables.

Recueillis par Luc Peillon


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