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Bernard Thibault dans Libération: "Les employeurs ont du souci à se faire"

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«Les employeurs ont du souci à se faire»


A la veille de la septième journée contre la réforme des retraites, le dirigeant CGT prédit un changement de forme du conflit et dénonce des infiltrations policières dans les manifestations.

Par CHRISTIAN LOSSON, LUC PEILLON

Bernard Thibault, le 31 août 2010. (Reuters)

Alors que devrait être adoptée aujourd’hui la réforme des retraites, et à veille d’une nouvelle journée d’action, Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, analyse le mouvement.

Les grèves semblent s’atténuer dans plusieurs secteurs. Cette tendance annonce-t-elle la fin du mouvement?
Tout montre que l’opposition au projet reste très majoritaire parmi les salariés et dans l’opinion. Mais la manière de s’y opposer évolue. C’est la conséquence directe et logique de la grève et, pour certains secteurs, des arrêts de travail reconductibles qui commencent à peser sur le pouvoir d’achat. Mais le mouvement ne se résume pas à ceux qui ont attiré les projecteurs. Des secteurs qui ne faisaient pas la une de l’actualité s’installent dans la contestation, pendant que d’autres, un peu fatigués, décideront de passer à d’autres types d’actions. Mais changer de mode de protestation ne signifie pas pour autant renoncer à l’action. La plupart des assemblées générales qui suspendent la grève se donnent d’ailleurs rendez-vous pour la journée de demain.

Attendez-vous à du monde pour cette septième journée d’action?
Notre objectif n’est pas de battre des records. Mais d’après les remontés du terrain, et même s’il est difficile d’évaluer l’impact des vacances, nous assisterons encore à un bon niveau de mobilisation, qui montrera que le sentiment de révolte n’a pas diminué. Contrairement à ce que pense le gouvernement, on ne s’approche pas de la sortie du conflit avec l’adoption de cette réforme par le Parlement. Et nous continuerons, demain, comme le 6 novembre, date d’une nouvelle journée d’action, à demander la non-promulgation de la loi. Adoptée ou non, l’affaire n’est pas finie.

C’est-à-dire?
Que la majorité ne considère pas que les injustices sociales issues de la réforme vont se dissiper sous l’effet d’une loi. Je pense même que de nombreux employeurs ont du souci à se faire dans la période qui vient. Ils vont être confrontés aux salariés qui continueront de ne pas accepter - et nous serons avec eux - de voir leur durée du travail rallongée alors qu’ils sont usés physiquement. Cette réforme provoquera une multitude de conflits.

Vous continuerez donc la lutte à l’échelle des entreprises?
Tout, en effet, ne découle pas forcément de la loi. Certains accords d’entreprises prévoient déjà des départs anticipés en lien avec la pénibilité des métiers. On va poursuivre ce combat à tous les échelons (branche, entreprise), même s’il aurait été plus juste d’obtenir la reconnaissance d’un droit interprofessionnel, également applicable aux salariés des PME. Car le succès de ces luttes va dépendre de notre poids syndical, lequel est forcément inégal suivant les entreprises ou les branches.

Une façon de sonner la fin du mouvement sans le dire?
Jusqu’à la promulgation de la loi, nous continuons d’agir. Car même si nous sommes lucides, le Président a toujours la possibilité de renoncer. Après, on sera dans une autre étape.

Vous pensez qu’il peut ne pas promulguer?
Nous allons tout faire pour, sinon nous ne ferions pas deux journées d’action

Si la loi passe et que le mouvement reflue, vous aurez le sentiment d’avoir perdu?

Non. Si la loi passe, je ne dirais pas que c’est un succès. Mais on n’apprécie pas un combat sur le résultat à un instant T. Je suis déjà satisfait qu’on reconnaisse le travail des syndicats dans cette séquence qui n’est pas terminée. Aucune loi ne peut mettre fin au combat syndical.

Depuis quand n’avez-vous plus de contacts avec le gouvernement?
J’ai eu un contact très superficiel avec Raymond Soubie, le conseiller de Sarkozy, mardi. Il n’y a plus de dialogue, plus rien.

François Chérèque a proposé une négociation sur l’emploi des jeunes et des seniors, que Fillon a accepté…
Je rappellerai à François Fillon le scénario de 1995 où, après les grèves, Alain Juppé avait organisé une conférence sur l’emploi le 21 décembre. Ce fut un fiasco. Nous ne pouvons pas être dupes de l’exercice. Si certains pensent qu’il suffit de photos autour d’une table pour tourner la page, ils se trompent lourdement. Que l’on réponde à la question de savoir comment les entreprises vont créer un million d’emplois pour les jeunes tout en retardant le départ à la retraite de deux ans chez les seniors…

Cherèque a aussi obtenu l’étude d’une réforme systémique en 2013…
C’est la confirmation que la réforme ne règle rien. Cet amendement de la dernière chance revient à dire que la vertu de la loi est de devoir tout remettre à plat en 2013 pour instaurer la retraite par points ! Cela montre la faiblesse des arguments pour tenter de sauver la face. On reste hostile à la retraite par points, qui renvoie au parcours personnel de chaque individu. La Suède, qui a adopté ce système, a connu une baisse de 8 % sur deux ans du niveau des pensions… Il faut un système solidaire entre générations et entre professions. Et il faut le financer…

Quelles sont les erreurs les plus flagrantes du gouvernement?
Il a sous-estimé le fait que c’est en France qu’il y a eu les plus grosses manifestations en 2009. Les Français refusant de payer la facture d’une crise dont ils n’étaient pas responsables. Et maintenant, on nous annonce que pour y répondre, il faut donner des gages aux marchés, grâce à la réforme des retraites. D’autres pays ont fait d’autres choix.

Comment analysez-vous les sabotages d’hier sur la ligne Paris-Bordeaux?
Les cheminots les dénoncent vivement. Je note que nous n’avons toujours pas le moindre début d’explication plausible sur les sabotages qui se sont produits après les grèves contre la réforme des régimes spéciaux en 2007. Des commentaires les avaient mis illico sur le dos des grévistes radicaux. Beaucoup d’indices nous laissent penser qu’il s’agit d’actes coordonnés, organisés, structurés par une coordination à une échelle centrale…

Le gouvernement, donc?
A une échelle centrale… Seule elle peut faire des actions le même jour, à la même heure, à plusieurs points du territoire. Mais cela ne vient pas des grévistes.

Comme les violences dans les manifs?
La présence de policiers en exercice camouflés sous des badges syndicaux, à Lyon, à Paris, ne fait aucun doute. Des manipulateurs s’infiltrent et poussent au crime dans des piquets de grèves, des manifestations, des occupations de ronds-points, violentent les situations en fin de manifs pour avoir des images chocs pour la télé et créer un climat de tension. On a vu des policiers avec des badges CGT repérés par les nôtres, qui se réfugient dans un hall d’immeuble, et finissent par se faire exfiltrer par des CRS. Quand on en vient à ce genre de procédés, c’est que l’on ne sent pas très fort de l’autre côté.


Par CHRISTIAN LOSSON, LUC PEILLON

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