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Décryptage d'un accord qui détricote le droit du travail

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Décryptage d'un accord qui détricote le droit du travail


28 janvier 2013 | Par Rachida El Azzouzi

S’il est trop tôt pour mesurer la portée réelle de l’accord sur la réforme du marché du travail, signé le 11 janvier dernier, Mediapart vous propose un décryptage des grandes mesures, leurs enjeux et leurs conséquences, celles qui donnent de nouveaux droits aux salariés et celles qui offrent encore plus de flexibilité aux entreprises, au détriment de la protection des travailleurs.

Article 1: généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé

Cette mesure, qui a divisé le patronat, sur fond de bataille entre organismes assureurs pour le marché des complémentaires santé d’entreprises, constitue un progrès social, réclamé de longue date par les syndicats. En France, un salarié sur quatre n’a pas de mutuelle car la loi n’oblige pas les entreprises à co-financer une complémentaire santé pour leurs salariés.

Avec ce nouveau dispositif, le salarié devra se voir proposer un panier minimum par son employeur, qui se situe entre le ticket modérateur et la CMUC : 100 % de la base Sécu pour une consultation, 125 % pour les prothèses dentaires et un forfait optique de 100 euros par an. Mais la mise en place de cette mesure, renvoyée à des accords de branches, n’est pas pour demain.

Les entreprises prendront le relais dans les branches qui ne seront pas parvenues à un accord d’ici au 1 juillet 2014, et cela dans le cadre de l’obligation annuelle de négocier sur la prévoyance. En cas d’échec de la négociation dans l’entreprise, cette dernière aura l’obligation d’instaurer au plus tard le 1 janvier 2016 un régime santé, non familial, cofinancé à 50-50 par l’employeur et les salariés, et prenant en charge au minimum le panier de soins prévu par l’accord.

Article 3: création de droits rechargeables à l’assurance-chômage

Permettre aux salariés qui reprennent un emploi après une période de chômage de conserver le reliquat de tout ou partie de leurs droits aux allocations-chômage non utilisées : c’est une vieille revendication des syndicats. Le dispositif n’a cependant pas fini de faire parler de lui. Rien n’a été arrêté sur son paramétrage, la durée des droits, le taux d’indemnisation et la période que l’on retient pour les calculer.

Il sera véritablement négocié lors de la prochaine convention Unedic dans le courant de l’année et les débats s’annoncent déjà très durs. Des syndicats, notamment la CGT, redoutent que
« le Medef propose en contrepartie, pour ne pas grever le déficit de l’Unedic, de remettre en place la dégressivité de l’allocation pour tous les demandeurs d’emploi ou alors de baisser le niveau des allocations de 10 à 15 % pour tous, bref de déshabiller Paul pour habiller Jacques », explique Maurad Rabhi. L’accord prévoit aussi un maintien des droits santé et prévoyance pendant 12 mois pour les chômeurs (d'ici 1 à 2 ans).

Article 4: majoration de la cotisation d’assurance-chômage des contrats à durée déterminée

C’était le point de crispation qui menaçait de faire capoter la négociation, taxer les contrats courts qui ont remplacé les CDI dans bien des entreprises. Le patronat a cédé à la dernière minute. Désormais, la cotisation d’assurance-chômage qui était de 4 %, quelle que soit la durée du contrat, va être majorée : de 3 points, à 7 % pour les CDD de moins d’un mois ; de 1,5 point, à 5,5 % pour les CDD entre un et trois mois, et de 0,5 point, à 4,5 %, pour les contrats d’usage inférieurs à un mois. Le dispositif ne s’attaque pas aux contrats saisonniers, aux CDD de remplacement ainsi qu’à l’intérim qui concerne pourtant 17 millions de personnes (dont la branche va négocier un statut de CDI intérimaire).

Cette avancée, jugée significative pour les trois syndicats signataires (CFDT, CFTC, CFE-CGC), ne résoudra pas, cependant, la question de fond, qui est la conversion du CDD en CDI et ne freinera qu’une minorité d’abus.
« Cette mesure est folklorique, elle n'aura aucun effet. On touche seulement aux contrats de trois mois. Les employeurs sauront trouver des moyens pour la contourner en allongeant les CDD au-delà du seuil de majoration », dénonce Stéphane Lardy, le négociateur de FO non-signataire. En échange de cette sur-cotisation chômage, qui d'après le Medef coûterait 110 millions, l’employeur bénéficiera, selon la taille de l’entreprise, d’une exonération de trois à quatre mois pour l’embauche d’une personne de moins de 26 ans en CDI, une compensation estimée à 155 millions d'euros...

Article 11: travail à temps partiel

C’est, pourrait-on dire, l’un des points positifs de l’accord : la lutte contre le temps de travail partiel imposé qui concerne plus de trois millions de salariés, à 85 % des femmes et à 80 % des non-qualifiés. Mais les partenaires sociaux ne sont pas allés au fond du problème et, à y regarder de près, on a l’impression que le temps partiel est encouragé et que les entreprises auront plus d'une corde pour déroger à ce dispositif. Il sera intéressant de voir comment ce dispositif s’appliquera dans un secteur comme la grande distribution.

Au plus tard le 31 décembre, tout contrat à temps partiel devra avoir une durée minimale de 24 heures par semaine, à l’exception des salariés de particuliers employeurs ou étudiants de moins de 26 ans. Des dérogations à ce seuil minimum seront toutefois possibles à la demande écrite et motivée du salarié, par accord de branche. Toute heure effectuée au-delà de ce minimum devra être majorée de 10 % ou 25 % selon les cas. Les branches dont au moins un tiers des effectifs sont à temps partiel devront par ailleurs négocier dans les trois mois suivant l’entrée en vigueur de l’accord sur la répartition du temps de travail pour permettre aux salariés des compléments d’heures auprès d’un autre employeur.

Article 12: information et consultation anticipée des instances représentatives du personnel (IRP)

C’est un article tout à la fois encourageant et inquiétant dans son intitulé et son contenu, enveloppé de flou. Les entreprises comptant plus de 10 000 salariés dans le monde ou 5 000 en France vont devoir faire rentrer dans les vingt-six mois un à deux représentants des salariés avec voix délibérative au sein de leur conseil d’administration. Leurs voix compteront-elles réellement ? Comment cela sera-t-il articulé ?

Dans les plus petites entreprises, les syndicats auront accès à
« une base de données uniques » pour améliorer en amont l’information-consultation des IRP (CE-CHSCT). Mais comment sera alimentée cette base de données ? L’employeur ne pourra-t-il pas cacher des informations s’il le souhaite ? Quel en sera le détail ? Autant d’interrogations qui vont nécessiter des éclaircissements.

Les paragraphes 4 et 5 suscitent nombre d’interrogations. Le premier laisse perplexe :
« Les demandes d’information ou d’éclaircissement ne doivent en aucun cas conduire à empêcher la bonne marche de l’entreprise, y compris le fonctionnement des organes de gouvernance. » Le second prévoit de faire payer les recours aux experts sur les deniers du budget des IRP (à hauteur de 20 %), ce qui est fort de café.

C’est dans cet article, paragraphe 6, qu’est effleurée la promesse de François Hollande d’une loi M-Real-Arcelor pour obliger toute entreprise qui veut fermer un site rentable pour assécher la concurrence à le céder. Loi qui n’est pas près de voir le jour et qui, rappelons-le, avait été repoussée en septembre dernier notamment à la demande des syndicats, dont l’ancien leader de la CFDT François Chérèque, qui n’auraient pas compris que le législateur la promulgue sans un dialogue social préalable. Il ne dicte pas d’obligation et dit simplement qu’
« il convient d’envisager la recherche de repreneurs dès l’annonce d’un projet de fermeture ». En réalité, c’est une patate chaude. Le patronat n’a jamais voulu négocier cette reprise de sites rentables. Le Parlement interviendra-t-il ?

Article 15: mobilité interne

C’est l’une des grandes inconnues qui fait bondir la CGT, FO et nombre d’experts, augurant d’un grand recul social si cet article est transposé en l’état. Il révèle la mainmise sur cet accord du patronat et la mise à mal du licenciement pour motif économique.

L’article offre la possibilité aux entreprises de négociation sur les conditions de mobilité professionnelle ou géographique interne avec des mesures d’accompagnement (formation, aides à la mobilité). Et en cas de refus d’un poste, le salarié pourra être licencié « pour motif personnel » pas pour « motif économique » !

Quant aux limites de « la mobilité géographique », elles ne sont pas définies et sont reportées à une autre négociation. De quelle ampleur seront-elles ?
« Au démarrage de la négociation, on avait mis soixante kilomètres et 1 h 30 de temps de trajet. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. on pourra envoyer un salarié de Paris à Pointe-à-Pitre ! » gronde Maurad Rabhi de la CGT.

Pour les spécialistes du droit du travail, le recul social est énorme.
« Cet article est très dangereux et pas clair du tout », analyse Pascal Lokiec, professeur d’économie à Paris-Nanterre. Il y aura une résistance de la jurisprudence, notamment sur le respect de la vie familiale normale. »


Article 18: accords de maintien dans l’emploi

C’est l’une des victoires emblématiques du patronat. Sous Nicolas Sarkozy, ils étaient baptisés « compétitivité emploi ». Sous Hollande, ils seront dénommés « accords de maintien dans l’emploi ». Soit la possibilité de réduire le temps de travail et/ou le salaire pendant une période allant jusqu’à deux ans pour éviter les licenciements
« en cas de graves difficultés conjoncturelles ». À condition que les syndicats représentant une majorité de salariés l’acceptent, ou à défaut l’administration, et qu’une clause prévoie le partage des fruits de la croissance à son retour.

L’objectif est d’éviter les suppressions de postes. Les salariés qui refuseront seront licenciés pour motif économique et la qualification ne sera pas contestable devant le juge. De tels dispositifs sont déjà à l’œuvre chez PSA, Air France, Poclain Hydraulics... L’actualité autour de Renault le rappelle. Mais désormais le cadre juridique est précisé.

Cette disposition, qui rappelle celle inscrite dans la seconde loi sur les 35 heures de janvier 2000, prévoyant le licenciement pour motif personnel des salariés refusant d’appliquer l’accord de réduction du temps de travail, soulève, cependant, de nombreuses questions et points de litige, au-delà du fait que c’est une forme de chantage à l’emploi. L’article ne dit rien de l’accompagnement qui sera proposé au salarié en cas de refus. Or la loi impose en cas de licenciement économique individuel un contrat de sécurisation professionnel pour les entreprises de moins de mille salariés ou un congé de reclassement au-dessus.

Si vingt salariés refusent de s’y soumettre, l’entreprise échappe au plan social et aux mesures d’accompagnement prévues par la loi. De quoi susciter l’ire des syndicats non-signataires et de nombreux experts.
« Il faudrait une obligation de réembauche au moins pour ceux qui refusent de signer ! » tempête un juriste, qui voit déjà les employeurs abuser de ce nouveau système qui leur évite un coûteux plan de sauvegarde de l’emploi.

Article 20: règles relatives au licenciement de 10 salariés et plus sur une même période de 30 jours dans les entreprises de moins de cinquante salariés

Cet article en dit long sur l’ampleur de la réforme des plans sociaux qui se trame et sur la manière dont la négociation a été conduite par les partenaires sociaux, au détriment des salariés. Il s’affranchit des règles du droit du travail en vigueur en matière de licenciement économique et bouleverse radicalement la procédure en la « fixant » soit par accord majoritaire avec les syndicats, soit par une homologation administrative dans les 21 jours, réduisant et pré-établissant des délais de contestation impossibles à tenir. Au cabinet du ministère du travail, les conseillers s’arrachent les cheveux pour transposer ce dispositif, inapplicable en l’état tant il nécessite d’être éclairci dans son libellé et son contenu.

Le syndicat de la magistrature en résume assez bien l’esprit et l’enjeu sur son site :
« Pour supprimer, encore, le contrôle du juge sur le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi et sur le respect de la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel, l’accord organise deux procédures, alternatives, de licenciement économique collectif (10 salariés et plus sur 30 jours). La première renvoie aux institutions représentatives du personnel le soin de signer avec l’employeur un accord de méthode dont la contestation est très encadrée. La seconde attribue le pouvoir de contrôle à l’administration du travail, qui n’aura pas les moyens de l’exercer réellement dans le bref délai imparti. Au lieu d’empêcher les licenciements collectifs qui satisfont des intérêts purement financiers, cet accord organise donc, au contraire, la neutralisation du juge judiciaire, conformément aux vœux du Medef, dont c’était l’une des toutes premières préoccupations. »

Article 25 : faciliter la conciliation prud’homale

Derrière ce bel intitulé, visant à alléger la charge des Prud’hommes, se niche un article très discutable qui révèle la déjudiciarisation du licenciement en cours en France. Le patronat invente un nouveau moyen pour éviter la case « juge » en cas de contestation du licenciement. Il prévoit d’instaurer un barème d’indemnisation forfaitaire du salarié au stade de la conciliation prud’homale, un barème ridicule, comme quatre mois de salaire pour deux à huit ans d’ancienneté, 14 mois de salaire au-delà de 25 ans d’ancienneté !

Pour le syndicat de la magistrature, ce dispositif
« rompt avec le principe de réparation intégrale des conséquences de la perte d’emploi et dissuade le juge d’exercer son pouvoir d’appréciation sur l’étendue du préjudice réellement subi par le salarié ». Heureusement, le salarié est libre de ne pas opter pour cette “barémisation” et de poursuivre la procédure sur le plan judiciaire.

L’article 26 qui suit, consacré aux délais de prescriptions, est tout aussi régressif. Il réduit les délais de prescription, déjà dérogatoires en droit du travail : deux ans pour saisir le juge (délai ramené à un an en cas de licenciement économique collectif), et rappels de salaires ou d’heures supplémentaires limités à une période de 3 ans (au lieu de 5 actuellement).

Lire aussi :
"Sécurisation de l'emploi" : les deux inconnues du parlement







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