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A Suresnes, la lutte des femmes de chambre finit par payer

Espace presse

A Suresnes, la lutte des femmes de chambre finit par payer


4 septembre 2013

REPORTAGE _ En grève l’an passé, les prestataires ont finalement été intégrées à Louvre Hôtels.

Il y avait comme un air de kermesse, hier, devant les hôtels Campanile et Première Classe près du pont de Suresnes (Hauts-de-Seine). Flanquées de drapeaux CGT et CNT, une quinzaine de femmes de chambres et de gouvernantes, «heureuses» et «émues», s’étaient réunies pour fêter une victoire rarissime dans le monde du travail : leur intégration au sein de l’entreprise «cliente» de leur société, le groupe Louvre Hôtels, propriétaire des deux établissements.

Une délivrance pour ces femmes, pour la plupart immigrées ivoiriennes, sénégalaises ou encore maliennes, jusqu’alors employées d’une entreprise de nettoyage sous-traitante, peu regardante sur le droit du travail. Vêtues de leurs blouses rayées, elles ont entonné quelques «solidarité !», «Louvre Hôtels, négociez !», en souvenir des mois de lutte et de galère. «Notre patron ne respectait rien. Il nous demandait de faire un maximum de chambres par jour et nous acceptions, car il fallait toujours en faire plus pour gagner plus», se souvient Daba Faye, gouvernante au Campanile depuis deux ans. «Bien qu’interdite par le droit du travail, la rémunération à la tâche était la règle», explique Claude Lévy, délégué syndical CGT qui a accompagné les femmes pendant ce combat. Cadences infernales, fluctuations des rémunérations, retards de paiement : aujourd’hui, Daba Faye se demande comment elles ont pu tenir dans ces conditions.

Pointeuse. Jusqu’au jour où, «fatiguées de tout cela», elles ont décidé de se mobiliser. Pendant vingt-huit jours, entre mars et avril 2012, elles occupent le parvis des deux hôtels. Une lutte qui a fini par payer. «C’était dur, dehors du matin au soir, dans le froid. Mais nous étions déterminées», se rappelle la gouvernante. Au son des tam-tams et des chants africains, elles se sont organisées, ont partagé les repas, jusqu’à ce que leurs revendications soient entendues. Résultat : au lendemain de la grève, une pointeuse est installée par la direction, marquant la fin de la rémunération à la chambre nettoyée. Les cadences - indicatives - sont revues à la baisse, les salaires augmentés, tout comme les bases horaires.

Une première victoire et un coup de pression sur la direction qui ont sans doute pesé dans la décision du groupe, prise cet été, d’incorporer ce personnel dans ses effectifs. Apprenant que la société prestataire se trouvait en redressement judiciaire, le personnel a revendiqué son intégration, sous menace d’une grève en cas d’arrivée d’un autre sous-traitant. «Un nouveau pas a été franchi», s’enorgueillit Claude Lévy.

En intégrant le groupe, les salariées obtiennent de meilleures conditions de travail : application du statut social de la société, 13e mois, primes, revalorisation des indemnités, participation aux bénéfices et à l’intéressement. Mais elles gagnent surtout «leur dignité et la fin de l’apartheid qu’elles subissaient», clame le délégué syndical. Derrière lui, les femmes, entre quelques rires et petits bavardages, applaudissent, filment avec leurs téléphones portables et lancent des «merci» en cascade.

Pour Claude Lévy, le combat ne s’arrête pas là. Depuis les années 2000, une vingtaine de grands hôtels de la région parisienne ont été bouleversés par des conflits sociaux. Et la CGT compte bien continuer de s’attaquer à cette «zone grise» du droit du travail. «Une lutte est déjà en préparation au Palace Park Hyatt Paris-Vendôme, précise le syndicaliste. Là-bas, l’argent coule à flot, les femmes servent des milliardaires et gagnent des cacahuètes.»

Mais malgré les combats syndicaux, «la tendance reste à la sous-traitance», selon Claude Lévy. L’intégration de la vingtaine de salariées des hôtels du pont de Suresnes reste donc une exception. «Aujourd’hui, notre groupe emploie déjà en propre 40% de son personnel de nettoyage», souligne toutefois Emmanuelle Greth, DRH de Louvre Hôtels. Elle précise que le groupe a décidé de tester localement, pendant un an, l’internalisation, avant d’envisager une extension à ses autres établissements. Le coût de l’opération est estimé à 25% de charges supplémentaires. «Ce n’est pas rien», remarque la DRH. «C’est pour moitié le prix de la mise aux normes avec le droit de travail», rétorque Lévy.

«Courage». Contrats illicites (lorsque la répartition précise des heures n’est pas respectée), délit de marchandage (quand la sous-traitance a pour unique effet de léser les salariés), travail dissimulé : aujourd’hui, les salariés de la sous-traitance, accompagnés par les syndicats, osent pousser la porte du conseil des prud’hommes. Récemment, le tribunal de Paris a reconnu le délit de marchandage en faveur d’une plaignante qui travaillait au Sofitel Paris Bercy. «On verra si la jurisprudence se précise», nuance Emmanuelle Greth, qui rappelle que la sous-traitance est un usage établi dans l’hôtellerie.

Odile Merckling, sociologue, s’est penchée sur ces «statuts d’emploi proches du travail informel ou dissimulé», qui concerne principalement des femmes immigrées. Une sorte de «délocalisation sur place», selon elle. Elle espère que le combat du pont de Suresnes «donnera du courage à d’autres». Mais, pour ces femmes, se battre reste difficile. Souvent peu éduquées et précaires, elles sont peu nombreuses à se syndiquer. «La plupart ne savent pas lire une fiche de paye», se désole Daba Faye, la gouvernante. Une inégalité supplémentaire que Louvre Hôtels s’est engagé à réparer en proposant des formations d’alphabétisation.

AMANDINE CAILHOL


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