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"Un diagnostique erroné, prétexte à toutes les mesures d'austérité", interview de Bernard Thibault

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"Un diagnostique erroné, prétexte à toutes les mesures d'austérité"

Interview: Bernard Thibault, leader de la CGT, dénonce la gestion gouvernementale de la crise, plan de réduction des déficits en tête.

Par Luc PEILLON, Jean-Christophe FÉRAUD

Economie en berne, chômage en hausse, politique d’austérité, place de la confédération dans l’intersyndicale : Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT a choisi Libération pour faire sa rentrée. Très critique sur la gestion de la crise par le gouvernement, il appelle les autres syndicats à organiser une mobilisation des salariés début octobre.

Vous rencontrez aujourd’hui le Premier ministre, François Fillon, cinq jours après la présentation de son plan de réduction des déficits. Comment jugez-vous ses propositions ?
Outre que ces mesures d’austérité concourent à amplifier la crise, ce gouvernement a une attitude assez lâche. Au lieu de lancer une réforme juste et globale de la fiscalité, il augmente les impôts indirects les plus injustes, comme la TVA, s’en prend aux contrats de complémentaires santé- qui vont toucher tous les salariés pour près de 1 milliard d’euros - ou se défausse sur les collectivités locales, auxquelles il va couper une partie des crédits.

Pourtant, le gouvernement vante la taxe sur les plus hauts revenus…
Le gouvernement l’a lui-même dit : cette taxe sera purement symbolique. Elle intervient surtout quelques mois à peine après une réforme de l’ISF qui a accordé aux plus riches près de 2 milliards d’euros. Or cette nouvelle taxe ne leur reprend que 200 millions, soit 10% seulement du cadeau qui leur a été fait… Et encore, de manière ponctuelle. Mais en aucun cas, il n’y a de réflexion sur la restauration d’un véritable impôt progressif sur le revenu, comme le demande la CGT. Ou une remise en cause des exonérations consenties à l’aveugle aux entreprises [pour un montant de 170 milliards, ndlr], alors qu’aucun mécanisme ne permet d’en apprécier l’efficacité.

C’est aussi une réponse à certains chefs d’entreprise, qui ont lancé un appel pour être davantage taxés…
Les patrons du CAC 40 sont les mieux rémunérés de tous les pays européens. Et on ne me fera pas croire que les résultats d’une entreprise dépendent avant tout des capacités de leur seul premier responsable, et non pas du travail de l’ensemble des salariés qui la composent. Cela dit, s’ils militent pour plus de justice fiscale, la CGT y est tout à fait favorable. Et pour ce qui est de la cotisation à la CGT, c’est 1% des revenus… Plus sérieusement, ce n’est pas avec ce genre de mécanisme, qui conduit à s’en remettre à la générosité des plus fortunés décidant de donner leur obole au budget de l’Etat, que l’on réglera le problème des finances publiques. J’ai la faiblesse de penser que s’ils l’ont fait, c’est parce qu’ils s’attendaient à l’imminence d’une décision du gouvernement. Sentant venir la mesure, encore une fois très symbolique, ils ont préféré prendre les devants. Mais ce geste ne trompe personne. On est encore dans une opération de communication.

La solution passe-t-elle par la «règle d’or» voulue par le gouvernement, qui imposerait aux dirigeants politiques un retour à l’équilibre budgétaire ?
Il s’agit plutôt d’une règle de plomb, prétexte à l’amplification de réformes rétrogrades dont la protection sociale risque d’être la prochaine victime. Si nous sommes tout à fait disposés à débattre de la manière dont les finances publiques peuvent être plus équilibrées, nous n’excluons pas qu’un budget puisse être en déséquilibre. L’important est d’apprécier si c’est justifié économiquement et socialement. Si c’est au profit de quelques-uns, parce que des baisses d’impôts massives leur ont été octroyées, alors le déficit est contestable. Mais s’il s’agit de relancer l’économie dans un contexte de crise, le déséquilibre a sa raison d’être.

Avez-vous été surpris par la forte remontée du chômage ?
C’était malheureusement prévisible. Dès lors que les décideurs politiques refusent d’identifier les véritables causes de la crise, ils appliquent des remèdes éculés, facteurs de chômage et de pression sur le pouvoir d’achat.

C’est-à-dire ?
On a résumé cette crise à une crise financière, ou à un défaut de régulation du système. Ce n’est pas complètement faux, mais largement insuffisant. La crise de 2008 est avant tout la conséquence d’un long cycle de dévalorisation de la valeur travail par rapport au capital. Un seul exemple : les dividendes versés aux actionnaires des entreprises non financières s’élèvent à 210 milliards d’euros en 2010, soit un tiers de la masse salariale de ces sociétés, et davantage que leurs investissements. Ce ratio est clairement intenable, et provoque une pression à la baisse sur le pouvoir d’achat des salariés, tout en maintenant le chômage à un haut niveau.

Quel lien avec la crise des dettes publiques ?
Plus de chômage et moins de consommation, c’est moins de rentrées financières pour l’Etat et la protection sociale. Les déficits publics ne sont pas dus à un excès de dépenses publiques, mais à un défaut de recettes, conséquence directe de ce déséquilibre entre travail et capital. Or ce diagnostic erroné de l’endettement public fait par les gouvernements devient aujourd’hui le prétexte à toutes les mesures d’austérité. Avec cet étrange phénomène, qui voit tous les chefs d’Etat se mettre au garde-à-vous devant les exigences du marché ou des agences de notation, ces organismes privés échappant à tout contrôle démocratique, afin de maintenir cette rentabilité pour les actionnaires. On alimente ainsi en boucle un système qui est la cause même du chômage.

Vous attendez-vous à des difficultés sociales à la rentrée ?
Nous ne cultivons pas le pessimisme par plaisir. Mais en tant qu’organisation syndicale, nous sommes très inquiets. Encore une fois, les mesures de rigueur vont contribuer à amplifier la crise. Je m’attends par ailleurs à ce que beaucoup d’employeurs s’appuient sur des projections de croissance revues à la baisse pour nous expliquer qu’il va falloir revoir le plan de charge, l’organisation du travail, les effectifs, voire les salaires. Je crains que cet engrenage nous conduise à une nouvelle récession économique.

N’êtes-vous pas enfermé dans un cadre national, alors que la crise dépasse largement les frontières de la France ?
Nous avons toujours eu une approche nationale, mais aussi internationale, notamment au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES), avec laquelle nous appelons à une euromanifestation à Wroclaw, en Pologne, le 17 septembre. L’action syndicale est d’actualité dans de nombreux pays européens. C’est d’ailleurs la première fois que se dégage une telle unanimité des 83 syndicats qui composent la CES contre la politique européenne, contre une politique de la Commission qui pousse chacun des Etats vers toujours plus de libéralisme, de révision des dépenses publiques, de flexibilité du travail, de réforme des retraites… Nos dirigeants ne peuvent pas attendre des travailleurs qu’ils soutiennent une Europe qui a de telles conséquences sociales sur leur vie, leur travail, leur pouvoir d’achat. S’ils n’entendent pas, le rejet de l’Europe, la montée de l’extrême droite dans un certain nombre de pays ne fera que s’accentuer.

On vous dit tenté de sortir du cadre de l’intersyndicale, et de reprendre votre autonomie d’action, notamment à l’égard de la CFDT…
Si tel était le cas, l’ensemble de nos structures, que nous avons réunies jeudi, ne se serait pas prononcé pour une journée d’action unitaire début octobre, faite de manifestations et de propositions d’arrêt de travail dans les entreprises. Et c’est cette proposition que nous ferons à nos partenaires lors de l’intersyndicale du 1 septembre. Je suis même optimiste quant à la possibilité de dégager une position commune avec les autres syndicats, pour infléchir cette politique qui consiste à privilégier les exigences des marchés financiers et des agences de notation. Avec ce mot d’ordre : «L’austérité, ça suffit !»

Même avec FO ?
Il n’y a que Force ouvrière qui puisse répondre à cette question. Cela dit, j’ai entendu Jean-Claude Mailly déclarer que l’on avait «évité le pire» à propos des mesures Fillon. Donc je ne sais pas s’il sera disposé à nous rejoindre.

Comment la CGT va-t-elle se positionner pendant la campagne électorale ?
La CGT se positionnera comme syndicat, mais en temps et en heure. Dans l’immédiat, la Terre ne s’arrête pas de tourner parce qu’il y a des élections dans neuf mois. La plupart des salariés ont besoin d’une réponse immédiate à leurs préoccupations de tous les jours : ils ont des problèmes de chômage, de pouvoir d’achat, de logement, de santé… qui ne cessent pas d’exister à cause de la campagne électorale.

Comment jugez-vous le bilan de Nicolas Sarkozy ?
Nous affinerons notre analyse au cours des prochains mois, mais le regard de la CGT sur le mandat de l’actuel président de la République sera, a priori, féroce. Son bilan est très négatif. Il a très largement piétiné le dialogue social, amputé et détricoté méthodiquement les droits des salariés, attaqué le temps de travail avec la remise en cause des 35 heures, et favorisé l’extension du travail du dimanche… L’apothéose restant la réforme des retraites, dont les premières victimes apparaissent d’ores et déjà.

Serez-vous candidat à nouveau mandat à la tête de la CGT ?
Les questions relatives au prochain congrès de la CGT, y compris celles liées à sa direction, seront d’abord débattues en interne. Aujourd’hui, je suis dans l’action, c’est la rentrée sociale, et ma priorité est de mener le combat contre les politiques d’austérité.



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