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Bernard Thibault pourrait rempiler pour un cinquième mandat à la CGT

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Bernard Thibault pourrait rempiler pour un cinquième mandat à la CGT

12 décembre 2011
Par
Mathieu Magnaudeix

L'affaire semblait entendue. Ce mandat-là, son quatrième, serait le dernier. Bernard Thibault, à la tête de la CGT depuis 1999, souhaitait passer la main. Pas question de faire
«le mandat de trop», comme il le répète souvent. Au début de l'année, juste après le conflit des retraites, Le Parisien l'avait même donné partant fin 2011 – information alors démentie par l'intéressé. Au printemps, Thibault accablé par un mal de dos chronique, dû à un stress intense, ne cachait pas son intention de passer le relais. Mais aujourd'hui il n'exclurait plus de rempiler.

A un an et trois mois du 50e congrès du premier syndicat de France, prévu à Toulouse en mars 2013, Bernard Thibault est encore aux manettes. Il avait toujours affirmé vouloir placer un successeur sur orbite à la fin 2011, mais personne n'a émergé. Il reste muet sur ses intentions personnelles, ce qui commence à en agacer beaucoup. Le 6 novembre dernier, il a esquivé la discussion lors d'une réunion du Comité confédéral national (CCN), le Parlement de la CGT. Les participants attendaient qu'il aborde le sujet lui-même. Mais il ne l'a pas fait, et personne n'a osé lui poser la question.

Au siège de la CGT à Montreuil, ce silence alimente les spéculations. Plusieurs dirigeants en quête de renouvellement s'inquiètent: et si Thibault avait décidé de repartir pour un mandat ou un demi-mandat, au risque de donner l'impression de s'accrocher au pouvoir, alors même que la CGT semble en panne d'inspiration depuis le conflit des retraites?

Sous couvert d'anonymat, plusieurs de ses proches s'en disent convaincus. En 2013, Thibault (qui va fêter ses 52 ans en janvier) en sera à sa quatorzième année à la tête de la CGT. Une éternité au vu des mandats de ses prédécesseurs Louis Viannet (1992-1999) et Henri Krasucki (1982-1992), dont il entendait pourtant se démarquer.

L'intéressé ne fait d'ailleurs rien pour lever les ambiguïtés, bien au contraire. Interrogé vendredi 9 décembre par Mediapart, Bernard Thibaut révèle avoir pris sa décision... mais refuse de la rendre publique jusqu'au mois de mai prochain.
«Oui, ma décision est arrêtée, dit-il. Je sais ce que j'essaierai d'expliquer à l'exécutif de la CGT. Mais vous n'aurez pas de scoop: je réserve mon opinion pour la commission exécutive de la CGT au mois de mai.» Le secrétaire général de la CGT glisse tout de même que depuis plusieurs mois, il souffre moins du dos...

Pas sûr que ces déclarations sibyllines calment l'impatience qui commence à monter dans les rangs. Au siège du syndicat à Montreuil, le flou entretenu par Thibault fait régner un climat pesant, qui s'ajoute aux tensions internes accumulées depuis les mobilisations contre la crise et les retraites, lors desquelles la direction est soupçonnée par sa base d'avoir voulu freiner le mouvement.

Certains prétendants ou partisans d'un nouvel élan s'impatientent ou se désespèrent.
«Quinze ans de mandat alors qu'on ne cesse de vanter la démocratie et le rajeunissement, ce serait incompréhensible et catastrophique en terme d'image», dit un membre de la direction. A peine quadra lors de son élection, le cheminot Thibault, révélation des manifestations de l'hiver 1995 contre la réforme Juppé de la Sécurité sociale, fait figure de vétéran du syndicalisme français. Elu en 2002, François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT, pourrait passer la main dès cette année à son dauphin désigné de longue date, Laurent Berger. Jean-Claude Mailly, le chef de file de Force ouvrière, ne dirige son organisation que depuis 2004...

Une femme à la tête de la CGT?


Thibault aurait-il cédé aux sirènes du pouvoir? Ceux qui le connaissent bien en doutent: ces dernières années, il a voulu jeter l'éponge à plusieurs reprises. En revanche, plusieurs proches du secrétaire général évoquent une gestion catastrophique du syndicat et de sa propre succession.

Thibault s'est avéré incapable de promouvoir un dauphin.
«Dans ce domaine, il a à peu près tout foiré», commente un initié. Depuis des années, les noms de certains dirigeants sont régulièrement cités, comme Thierry Le Paon, ancien de Moulinex aujourd'hui chef de la section CGT du Conseil économique et social, ou Eric Aubin, secrétaire général de la construction, le “M. retraites” de la CGT. Mais dans la dernière période, des noms féminins sont revenus avec insistance: Thibault souhaite depuis longtemps qu'une femme lui succède. «Aujourd'hui la CGT serait à même d'avoir une femme à sa tête», dit Thibault à Mediapart. Mais les candidates pressenties ne sont aujourd'hui pas en situation de lui succéder.

Lors du dernier congrès de 2009, la pugnace Maryse Dumas a ainsi été écartée de la direction confédérale – elle parle d'un choix personnel. Ces derniers mois, Nadine Prigent, membre du bureau confédéral et voix de la CGT dans l'intersyndicale, était présentée comme la dauphine désignée. Mais en interne, sa candidature est mal passée.
«Thibault a tenté de la pousser, elle a été rejetée par l'organisation», commente un cégétologue averti.

Faut-il y voir un zeste de machisme institutionnel? Pas impossible, surtout quand on entend des dirigeants dire qu'
«elle manque de charisme». Mais Nadine Prigent est aussi contestée dans sa propre fédération, la santé. Elle a surtout pris beaucoup de coups en remplissant la feuille de route fixée par Thibault dans l'intersyndicale: rester au contact de la CFDT et des réformistes tout en ne laissant pas le monopole de la radicalité aux plus contestataires, Solidaires et la FSU. De quoi s'emmêler les pinceaux, et commettre quelques bourdes, ce que Nadine Prigent a fait. «Ce sont des questions que je ne me pose pas», assure-t-elle. Elle refuse de dire si elle est toujours soutenue par Thibault. «Les choses ne se passent pas ainsi à la CGT. Il y a des procédures, un calendrier décidé par la direction confédérale. Nous commencerons à en discuter en février et en mars.»

Selon plusieurs dirigeants, Agnès Naton, autre membre du bureau confédéral qui a l'avantage d'être issue du privé,où la CGT n'est pas assez implantée, aurait fait part de ses ambitions au chef. L'intéressée dément formellement, et ajoute, prudente:
«Je ne suis pas candidate, pas non plus en campagne. Si les choses doivent se discuter, alors je ferai un choix, mais à ce moment-là seulement.» Problème: Agnès Naton est encore cantonnée à des dossiers peu “visibles” hors de la CGT.

Faute d'avoir trouvé la femme idoine, Thibault pourrait donc rempiler pour un mandat, ou au moins un demi-mandat. Un scénario catastrophe, selon plusieurs dirigeants qui parlent sous couvert d'anonymat.
«C'est de pire en pire, dit l'un d'eux. Bernard est usé, fatigué. On n'a plus d'idées, alors que la crise bat son plein.» «La CGT est en danger», s'alarme un autre.

Des responsables de fédération décrivent un Thibault de plus en plus isolé, déconnecté du terrain et entouré d'une garde rapprochée d'un niveau
«très faible», où l'on compte plusieurs cadres issus de la toute-puissante fédération de l'énergie, qui comprend notamment EDF. Mal vu en interne, Michel Donneddu, l'administrateur (et trésorier) de la CGT, issu de l'énergie, continue inexplicablement de tenir l'organisation, alors même que Cogetise, le système de gestion des cotisations qu'il a mis en place en 2006, est un échec. Ces derniers jours, il est beaucoup intervenu pour défendre les comités d'entreprise au cœur de plusieurs affaires, anciennes ( la CCAS d'EDF) ou plus récentes (le CE de la RATP, tenu par la CGT, est visé par une enquête préliminaire du Parquet à la suite d'un rapport accablant de la Cour des comptes).

La réorganisation de la direction confédérale mise en place au dernier congrès, en 2009, est aussi pointée du doigt. Au nom de la décentralisation du pouvoir, Thibault avait amaigri le bureau confédéral – une sorte de comité de pilotage de la CGT, placé près du secrétaire général, passé de 12 à 8 membres –, pour mieux muscler l'autre instance de direction, la commission exécutive, qui regroupe les 54 plus hauts dirigeants de la CGT.
«Ça ne marche pas, et la direction confédérale s'est affaiblie. Nous ne pourrons pas faire l'économie d'un débat là-dessus», affirme l'un d'entre eux.

«La période est très difficile pour les syndicats, pour tous les syndicats, rétorque Thibault. Nous avons de grandes difficultés à résister au rouleau compresseur actuel de l'austérité.» Adepte de la méthode Coué, le secrétaire général de la CGT ne veut pas évoquer la question de l'organisation de la direction avant le début de l'année prochaine, et nie tout «désaccord apparent dans nos instances».

C'est bien tout le problème, affirment plusieurs responsables du syndicat, pour qui cette absence de débats de fond est le symptôme tout à la fois d'une crise profonde et d'une fin de règne qui n'en finit pas.





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