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Clic-P, le collectif qui fait trembler les commerces

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Clic-P, le collectif qui fait trembler les commerces

LE MONDE_05.10.2013

C'est la bête noire des supérettes parisiennes et de plusieurs grandes enseignes implantées dans les quartiers chics de la capitale. Elle a fait rendre gorge aux Apple Stores, à Uniqlo et à une kyrielle de magasins qui ne respectaient pas la réglementation sur les horaires d'ouverture. Son nom claque comme un slogan publicitaire : Clic-P, pour Comité de liaison intersyndicale du commerce de Paris.

Dans le débat sur le travail de nuit et le repos dominical, ce collectif se distingue par la guérilla judiciaire qu'il poursuit sans relâche depuis trois ans. Mais son action est contestée par des salariés, désireux d'être employés après 21 heures ou le dimanche.

Le Clic-P a vu le jour en février 2010, quelques mois après l'adoption de la "loi Mallié", du nom d'un député UMP des Bouches-du-Rhône qui l'avait défendue : ce texte accordait de nouvelles possibilités aux commerces de détail pour accueillir les clients le dimanche.

A l'époque, la mairie de Paris avait lancé une consultation sur le sujet, associant syndicats de salariés et organisations d'employeurs.
"Il y avait un lobbying patronal très fort pour étendre les autorisations d'ouverture dominicale, raconte Karl Ghazi (CGT), l'un des "animateurs" de Clic-P.La seule façon d'inverser la tendance, c'était de rassembler nos forces et de nous battre ensemble. Les salariés demandaient que cesse le chauvinisme d'étiquette, dans un secteur où le syndicalisme est faible."

"IL FALLAIT STOPPER LE PHÉNOMÈNE"

Six syndicats locaux ont décidé de s'allier : la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, la CGT, Force ouvrière (FO) et SUD. Des coalitions très larges émergent généralement dans des entreprises frappées par un plan social. Il est rarissime qu'elles se constituent sur un secteur et un territoire donnés.
"Je ne l'ai jamais vu jusqu'à présent", confie une avocate, engagée dans la défense des salariés depuis plus de vingt ans.

Le Clic-P s'est d'abord attaqué à des supérettes parisiennes ouvertes tout le dimanche, dans l'illégalité la plus complète. Des magasins Franprix, Monop', Carrefour City, G20 ont été condamnés à fermer leurs portes à 13 heures, le septième jour.
"Il fallait stopper le phénomène, qui faisait tâche d'huile", explique M. Ghazi. Puis l'offensive s'est élargie au non-alimentaire et à de prestigieuses enseignes qui souhaitaient recevoir du public, tard le soir. Le BHV et les Galeries Lafayette du boulevard Haussmann ont dû ainsi renoncer à leurs nocturnes, en 2012.

"L'intersyndicale s'est montrée efficace car elle a regroupé des personnes qui sont parties de leurs points forts", commente MLecourt, l'un des conseils du Clic-P : certaines appartenaient à des syndicats bien implantés dans les entreprises, d'autres étaient douées pour la communication ou la rédaction de textes, quelques-unes connaissaient des avocats spécialisés, etc."C'est cette combinaison de moyens qui a permis d'affronter sur le terrain judiciaire, à armes quasiment égales, de grands groupes", ajoute Me Lecourt.

Au sein du comité, il y a de fortes têtes dont certaines sont en conflit ouvert avec leurs instances nationales. Entre l'union syndicale CGT du commerce de Paris et sa fédération, par exemple, les relations sont exécrables : en 2012, la seconde a coupé ses financements à la première.
"Nous sommes d'accord sur les objectifs mais nos points de vue divergent sur la manière d'agir", dit, un brin embarrassée, Michèle Chay, secrétaire générale de la fédération CGT du commerce.

UNE DÉFECTION CAUSÉE PAR LA PRESSION

Le syndicat CFTC, qui faisait partie du Clic-P, a été exclu, fin juin, par sa confédération :
"Il refusait de respecter nos règles internes de fonctionnement", justifie Patrick Ertz, président de la fédération CFTC du commerce. Depuis, le banni a rejoint l'UNSA.

Jusqu'à présent, le collectif avait su rester soudé. Mais une première lézarde est apparue, jeudi 3 octobre, lorsque FO a annoncé qu'elle se retirait de l'intersyndicale et qu'elle suspendait les actions judiciaires qui allaient être engagées :
"Nous ne sommes plus sur la même longueur d'ondes avec le Clic-P en termes de stratégie mais cela ne veut pas dire que nous sommes en opposition avec lui", argumente Christophe Le Comte, secrétaire fédéral adjoint de FO-employés et cadres.

Une défection causée par la pression, devenue très forte ? Il est vrai que le Clic-P a été la cible de vives critiques, en particulier d'une partie du personnel du magasin Sephora sur les Champs-Elysées : ces salariés reprochent à l'intersyndicale d'être à l'origine d'une décision judiciaire qui les empêche aujourd'hui de travailler après 21 heures – et de percevoir du même coup des rémunérations majorées. Leur avocate, Mëlle Aknin, considère qu'
"il y a un vrai clivage entre la vision passéiste du travail, défendue par le Clic-P, et la conception plus ouverte".

Le problème n'est pas là, objecte Laurent Degousée (SUD), mais dans le faible niveau des rémunérations et l'ampleur de l'emploi à temps partiel au sein du commerce de détail, qui poussent les salariés à accepter des horaires atypiques en contrepartie d'un coup de pouce sur le bulletin de paye.

Les employés de Sephora, qui sont volontaires pour travailler la nuit,
"ne sont pas sur une île déserte", complète M. Ghazi : l'extension du travail nocture conduit à la "dérégulation des temps sociaux" crêches, transports en commun...). Dans cette affaire, conclut Eric Scherrer (UNSA), c'est aussi "l'ordre public social" qui est en jeu : le droit du travail est fondé sur des mécanismes de protection applicables à tous les actifs ; ils n'ont pas à être remis en cause au motif que, ici ou là, des salariés sont prêts à y déroger.

Bertrand Bissuel



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