Chapitre n'a pas dit son dernier mot - US CGT Commerce et Services Paris

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Chapitre n'a pas dit son dernier mot

Archives > 2013 > Presse

Source Libération_5 mars 2014

REPORTAGE

A Evreux, les salariés occupent la librairie pour obtenir de vraies indemnités de licenciements.

Le dernier carré d’irréductibles tient la place depuis vingt-trois jours. Dans le magasin Chapitre d’Evreux, les 21 salariés veulent rester bien présents dans l’esprit de Jorg Hagen, président d’Actissia, la maison mère du groupe. Ce matin se tient une audience en référé au tribunal de grande instance de Paris, où l’avocat des employés va réclamer 12 millions d’euros d’indemnités de licenciement. Pour l’instant, seul un million a été mis dans le plan social, soit 2 000 euros en moyenne par salarié.

Sur 57 librairies Chapitre, 23 ont été liquidées faute de repreneur depuis la mise en redressement judiciaire, le 2 décembre, avec continuation de l’activité jusqu’au 10 février. Laissant 434 salariés sur le carreau, auxquels sont proposés des reclassements dans la société sœur, France Loisirs. «Mais c’est en Martinique, à Québec ou au Puy-en-Velay», note Laure Despiney, directrice du magasin d’Evreux et responsable syndicale CFTC.

Dans un coin des 1 200 m2 situés face à la cathédrale, des matelas gonflables ont été installés entre les rayons logiciels et DVD. Une table sert de réfectoire où Gaëlle pose les sandwichs du midi. Le «bar musical» fait fonction de bureau. Un planning indique les tours de garde, de jour et de nuit. Cet immense espace culturel pourrait rouvrir demain : les rayonnages y sont intacts, même si les présentoirs du côté librairie manquent d’épaisseur. L’occupation se veut pacifique.

Mépris. Quand le verdict est tombé, le 10 février, avec l’obligation de fermeture, 8 libraires sur 23 ont décidé de suivre l’initiative d’occupation des locaux lancée par Montbéliard (Doubs) - aujourd’hui, elles ne sont plus que deux. Pour sortir la tête haute. Pour répondre au mépris ressenti toutes ces années. Trop facile d’accuser l’évolution des usages et la vente en ligne, estiment-ils. La politique désastreuse des deux derniers propriétaires, Bertelsmann jusqu’en 2011 puis Actissia, est dans le collimateur. «La mise en place d’une plateforme centralisée pour gérer les commandes, du temps de Bertelsmann, engendrait des délais de livraison de cinq à six jours», critique Laure Despiney. Olivier renchérit : «On nous demandait de réduire nos stocks en 20-80, c’est-à-dire de privilégier les 20 ventes qui font 80% de chiffre d’affaires. Du coup, on a délaissé le fonds.»

Actissia avait déjà annoncé vouloir fermer 12 magasins, dont celui d’Evreux, en avril 2013. Le plan comportait aussi une externalisation de certains services, la vente de crèmes cosmétiques, de produits alimentaires… Il a été abandonné à l’automne au profit d’une vente du réseau Chapitre. Depuis des mois, les clients demandaient au personnel d’Evreux la date de la fermeture. «Du coup, on est préparés à ce qui se passe», poursuit Olivier.
«Ironie». Les lettres de licenciement arrivent ces jours-ci. Au bout de vingt-et-un ans, Sandrine, 41 ans, touchait 1 190 euros net par mois. Elodie, 30 ans, gagne 535 euros pour dix-huit heures par semaine. La directrice Laure, 43 ans et dix-huit années d’ancienneté, touche 2 300 euros net. «Les indemnités seront de 20% du salaire brut par année d’ancienneté», dit-elle. Réglées par les AGS (régime de garantie des salaires). Le million alloué par Actissia dans le plan social doit servir à la formation et à l’aide à la création d’entreprises.

«Ironie de cette histoire : un patron au point de vue libéral a recours à l’argent public. Quand tout va bien, on est libéral, et quand tout va mal, on est interventionniste, attaque Véronique Crouzet-Tenu, CGT, de la librairie de Lyon, place Bellecour, qui a stoppé l’occupation vendredi. On se bat pour toucher plus haut l’actionnaire qui dort tranquillement sur ses deux oreilles à Phoenix, dans l’Arizona.» Le 24 février, rassemblés au siège d’Actissia, rue de Grenelle à Paris, les salariés ont réclamé un rendez-vous à Jorg Hagen. Ils ont attendu neuf heures. Pour s’entendre dire qu’il n’y avait pas d’argent et qu’ils mettaient en péril les autres sociétés du groupe. Chapitre a fermé à Evreux, mais une boutique France Loisirs ouvre mercredi dans la ville. Troublant.

Outre les 12 millions réclamés à Actissia SAS France pour les indemnités, le référé de ce matin vise aussi à faire contribuer les entités sœurs du groupe en faisant valoir le coemploi entre Chapitre et France Loisirs. Actissia SAS est détenue à 100% par Najafi Companies, un fonds d’investissement américain. La réponse de son cabinet d’avocat tient de la plus belle prose capitalistique : «Dans la mesure où les sociétés actionnaires directes et indirectes d’Actissia SAS n’ont retiré aucune distribution ou avantage de leur investissement, elles ne sont pas à même d’abonder à un tel plan.»

Aujourd’hui, à 8 heures, les salariés de Chapitre Evreux vont refermer la porte avant de monter dans un minibus affrété par la mairie pour assister à l’audience. Jusqu’au bout, ces irréductibles auront décidé de ne pas bouger tant que Jorg Hagen, leur patron, ne bougerait pas.

Frédérique ROUSSEL Envoyée spéciale à Evreux (Eure)


 
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