"Les managers d'Amazon fliquent près des pointeuses" - US CGT Commerce et Services Paris

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"Les managers d'Amazon fliquent près des pointeuses"

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Source : Libération _ 11 JUIN 2014

REPORTAGE En grève ce mercredi, des travailleurs dénoncent leurs conditions de travail.

Fin de matinée, sur le rond-point herbeux devant l’immense entrepôt d’Amazon à Saran (Loiret), une poignée de syndicalistes fait chauffer le barbecue. L’intersyndicale (CGT, FO et SUD) a lancé ce mercredi un préavis de grève sur la plateforme logistique du mastodonte de la vente en ligne pour protester contre l’échec des négociations annuelles obligatoires (NAO) sur les salaires. Si l’appel à cesser le travail toute la journée ne promet pas d’être suivi, les instigateurs du mot d’ordre sont plus confiants sur le rassemblement prévu de 11 heures à 14 heures.

Dans ce premier site ouvert en France (en 2000) par la multinationale américaine, les salariés travaillent en deux équipes, de 5 h 40 à 12 h 40 et de 12 h 50 à 20 h 20. «Les gens ne risqueront pas une journée de salaire, mais prendront une heure en début ou en fin de service pour participer, espère Michaël Soullier, délégué FO, dix ans de boîte. Ce n’est pas évident de faire grève ici. Les managers mettent la pression, fliquent près des pointeuses…» Un premier débrayage, le 26 mai, à l’appel de la CGT, avait mobilisé une quarantaine de personnes sur ce site de 900 salariés, mais qui peut monter à 1 500 avec les intérimaires avant les fêtes de Noël.

Cloche. De fait, passant les grilles de l’immense bâtiment de 90 000 m2 vers lequel se dirigent sans arrêt des poids lourds chargés de marchandises, des dizaines de silhouettes s’avancent vers le périmètre central. Une petite foule humaine qui bouge, grossit et rengorge Kaleb Bouchajra, petit mégaphone CGT en main. «Amazoniens pas contents ! Amazoniens pas contents !» hurle-t-il.

Pas contents du tout de la conclusion des négociations sur la NAO, achevées le 28 mai «sur des propositions inacceptables de la direction», tranche Sébastien Boissonnet, délégué CGT, qui réclame leur réouverture. Vu de loin, les propositions en question n’ont pas l’air si scandaleuses. Vu de Seattle (siège mondial d’Amazon) ou du Luxembourg (siège Europe), elles doivent même paraître trop généreuses. Certes, les salaires de quatre des six catégories de personnel sont gelés, mais la direction affirme instaurer un treizième mois «avec des mesures transitoires pour 2014» et une pause unique de trente minutes au lieu de deux fois quinze minutes. «En réalité, la prime de performance de 700 euros perçue habituellement en novembre va être supprimée, les primes d’intéressement trimestrielles d’environ 200 euros aussi, et on nous donnera cette année en guise de treizième mois un simple reliquat», décrypte Michaël Soullier.

Quant à la pause… «On a soi-disant quinze minutes, mais quand on se trouve comme moi à l’autre bout du site, on met cinq minutes de trajet pour aller dans la salle de repos ou encore plus pour sortir fumer une cigarette», raconte un cariste. Se rajoutent d’autres précieuses minutes gaspillées dans la queue de la machine à café. Il faut ensuite retourner à son poste, le cœur battant après la cloche agitée trois minutes avant la reprise. Et tout retard est remarqué. «En fait, la direction veut une seule pause pour rallonger les amplitudes horaires et donc fluidifier le trafic du parking et permettre le chargement des camions le plus tard possible», traduit Anthony Chacon, de SUD-Solidaires. «Compétitivité, tout est dans la compétitivité, Il n’y a que ton investisseur et ton client qui comptent», entend-on crier au mégaphone.

Intimidée, une salariée de 28 ans dit vivre sa première grève et reconnaît qu’on leur «en demande toujours plus». Une autre, cinq ans de maison, 1 450 euros par mois, parle des représailles vécues par ceux qui ont participé à la première grève. «Le lendemain, les managers ne leur disaient pas bonjour», lâche-t-elle, tout en affirmant que «vu les bénéfices d’Amazon, il pourrait partager plus». Un quinquagénaire, ex-ouvrier licencié de la métallurgie où il gagnait deux fois plus, parle de la polyvalence extrême, du turnover, du flicage.

Robots. La petite foule, une grosse centaine, s’ébranle en cortège bruyant dans un décor d’entrepôts logistiques et de ronds-points impersonnels. Un jeune trentenaire déballe les détails d’un univers kafkaïen et anglophone, des briefs sur le floor dans lesquels des salariés sont mis à l’index par les leads, de l’interdiction de se parler, des safety tips, des all hands (réunion de tous les salariés)… Dans une small hands,«on nous a dit que si nous demandions trop d’argent, nous allions fermer et que la Pologne commençait à ouvrir des sites, ajoute un syndicaliste. Il y a beaucoup de chantage.» La direction leur a montré une carte d’Europe des sites Amazon, en pointant le coût du travail français.

«On nous infantilise, rajoute ce bac+ 5 qui sature au bout de trois ans. Pour fêter la fin de la NAO, la direction nous a promis le café toujours gratuit ! Il y a aussi "la question du mercredi" : celui qui donne la bonne réponse gagne un café ou un pain au chocolat.» Certains ont aussi à l’esprit l’investissement onéreux du fondateur et patron, Jeff Bezos, dans une entreprise de robotique. Et son annonce de faire travailler plus de 10 000 robots dans ses entrepôts d’ici la fin de l’année…

Frédérique ROUSSEL Envoyée spéciale à Saran (Loiret)

 
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